Le respect de la volonté populaire

S’assurer que tous les votes comptent et que toutes les personnes comptent.

1- Le respect de la volonté populaire: 

  • que le pourcentage de sièges occupés corresponde proportionnellement à ceux des votes obtenus, que tous les votes soient traités avec équité, que le gouvernement soit formé en concordance avec les votes obtenus par les différents partis.

Sous les modes de scrutin de type proportionnel, la population accède à des personnes élues pour représenter des territoires locaux, régionaux ou pour représenter la population dans son ensemble, ou une combinaison de ces trois formes. Mais dans tous les cas, l’objectif de ces modes de scrutin est de former un Parlement réunissant les partis politiques ayant obtenu le soutien de l’électorat, et ce, dans une proportion qui correspond à ce soutien. Ils partagent un objectif absent dans le mode de scrutin majoritaire: viser le respect de la volonté populaire. S’ils n’atteignent pas tous les mêmes degrés de proportionnalité, c’est qu’ils font ou non différents compromis sur cet objectif, et qu’ils ont des manières différentes de voir la représentation.

Dans un mode proportionnel, 37% du vote mène à 37% des sièges et non à 59% comme c’est le cas pour la CAQ après les élections québécoises du 1er octobre 2018, pas plus que 39% du vote ne peut résulter en 54% des sièges, comme c’est le cas pour le PLC à la suite des élections fédérales du 15 octobre 2015.

L’indice de distorsion (ou indice de Gallagher) illustre bien la différence fondamentale entre les objectifs des modes de scrutin de la famille proportionnelle versus majoritaire. Alors qu’un indice de distorsion de 5 devrait être visé, seulement 2 des 42 élections québécoises depuis 1867 n’ont pas dépassé cette balise, la moyenne étant de 17,7. L’analyse des résultats régionaux offre un portrait encore pire. Par exemple, lors des élections de 2014 et de 2018, seule la Montérégie a obtenu un indice de moins de 10, les autres régions se situant entre 14 et ….. 59.

Pour les élections de 1950 à 2018, l’indice de distorsion atteint sous un scrutin de liste est de 5,6, comparativement à 6,5 sous un scrutin proportionnel mixte compensatoire, mais à 10,8 pour une formule mixte parallèle (non compensatoire) et à 13 et 25 pour les modes majoritaires à un et à deux tours.

L’analyse de l’indice de distorsion des pays qui ont changé de mode de scrutin permet de voir les grandes différences entre les modes majoritaires et proportionnels (plus l’indice est bas, meilleur est le respect de la volonté populaire):

  • En Bolivie, l’indice de distorsion moyen est passé de 5,3 à 4,4 après avoir quitté une proportionnelle de liste (5 élections de 1979 à 1993) pour une proportionnelle mixte compensatoire (5 élections de 1997 à 2014).
  • En France,  l’indice de distorsion moyen des 14 élections entre 1951 et 2017 était de 15,9 , mais de 6,1 durant les 3 élections tenues sous une proportionnelle de liste (1951, 1956 et 1986).
  • Au Lesotho, l’indice de distorsion moyen est passé de 19,8 à 3,4 suite au remplacement du mode majoritaire uninominal à un tour (4 élections de 1965 à 1998) pour une proportionnelle mixte compensatoire (4 élections de 2002 à 2015).
  • En Nouvelle-Zélande, l’indice de distorsion moyen sous le mode majoritaire uninominal à un tour était de 12,2 (15 élections de 1951 à 1993), alors qu’il est tombé à 2,8 depuis l’instauration d’une proportionnelle mixte compensatoire (8 élections de 1996 à 2017).

Depuis 1867, le gouvernement du Canada n’a pas été formé par le parti remportant le plus de votes à 4 reprises, soit en 1896, 1926, 1957 et 1979. La même situation s’est répétée 5 fois pour le gouvernement du Québec, soit en 1886, 1890, 1944, 1966 et 1998, et elle a failli se reproduire en 1994 et en 2012, par moins de 1% du vote. Ce phénomène se produit aussi dans les résultats électoraux des régions. Ainsi, lors des 5 dernières élections, la population de 10 régions a vécu entre 1 et 3 renversements de sa volonté populaire.

Si les avantages obtenus par un parti nuisent aux autres partis, c’est surtout à la population qu’ils font du tort. Comment ne pas être ébranlé par l’ampleur des votes qui ne servent à rien, qui sont tous bonnement perdus. Pour les 5 élections québécoises depuis 2007, de 52% à 57% des votes ont systématiquement été perdus. En comparaison, seulement 6% des votes ont été perdus lors de l’élection néo-zélandaise de 2017, laquelle utilise une proportionnelle mixte compensatoire.

Ainsi, le système est très loin de bien représenter la population que ce soit au niveau national ou régional. Lors des 5 dernières élections québécoises, dans 13 régions, la population a voté pour un parti qui n’a obtenu aucun siège malgré qu’il ait reçu de 20% à 35% d’appuis. Dans 10 régions, des opinions ont été sous-représentées de -30% à -35% ou surreprésentées de +50% à +74%, entre une et cinq élections, et cette situation s’est répétée lors de 3 élections et plus pour 6 de ces régions.

L’analyse de la représentation des régions administratives doit cesser de se limiter à la préservation du nombre de leurs sièges. Les résultats électoraux montrent que les populations de ces régions n’obtiennent pas le respect de leurs votes ni l’accès à une représentation adaptée à la société et à sa démographie. Contrairement à l’idée répandue, le mode de scrutin actuel n’est pas «bon pour les régions», puisqu’il empêche leurs populations d’accéder à une juste représentation.

Dans le contexte d’un mode de scrutin de type proportionnel, si aucun parti n’a suffisamment de sièges pour gouverner seul, c’est parce qu’il n’a pas obtenu suffisamment de votes pour gouverner seul. Cette logique nous étant actuellement inconnue, plusieurs croient qu’une coalition gouvernementale ne respecte pas le vote, alors que c’est tout le contraire. Une coalition gouvernementale est tout simplement le reflet du message populaire; elle se compose donc en fonction du résultat proportionnel du vote et elle est plus respectueuse du vote qu’un gouvernement majoritaire. Elle est aussi plus durable qu’un gouvernement minoritaire, étant encadrée par des règles pour baliser les situations où une coalition gouvernementale peut perdre la confiance de l’Assemblée législative. Par exemple, en Allemagne, si le Parlement (Bundestag) veut défaire le gouvernement, ses membres doivent déposer, dans les 48 heures, une motion désignant une nouvelle chancelière ou un nouveau chancelier, ce qui correspond à former une nouvelle coalition gouvernementale. Il n’y a donc pas de vide ni retour systématique en élection. Quant à la durée, les législatures de gouvernements élus par modes de scrutin de type proportionnel comme celles de l’Allemagne, de la Bolivie, de l’Irlande ou de la Norvège durent entre 3,5 et 4 ans en moyenne, et ce, généralement sous des coalitions gouvernementales. Comparativement, les 3 législatures minoritaires québécoises ont duré 2,1 ans contre 3,5 ans pour les 39 gouvernements majoritaires, pour une durée totale moyenne de 3,4 ans.

Le fonctionnement d’une coalition gouvernementale diffère de celui d’un gouvernement majoritaire et minoritaire, parce que le pouvoir est partagé plutôt que monopolisé par un seul parti. Les réalisations des coalitions gouvernementales ont davantage de chance de disposer d’une adhésion importante de la population que si elles sont le fruit d’un seul programme. De plus, à moins de changements majeurs dans la volonté populaire, il est plausible qu’une part de la coalition gouvernementale fasse partie de la coalition suivante; ce faisant, la nouvelle coalition gouvernementale risque moins de faire table rase du passé, ce à quoi on assiste actuellement à toutes les deux ou trois élections.

Sur le plan exécutif, le poste de premier ou de première ministre et les postes du conseil des ministres seront comblés par les personnes élues de plus d’un parti. Il y a donc plusieurs partis gouvernementaux, plutôt qu’un seul, ce qui mène à des décisions en conformité avec plus d’un programme politique. Les sièges du conseil des ministres peuvent alors être répartis en fonction du pourcentage de votes obtenus par chaque parti composant la coalition gouvernementale, mais aussi en fonction de l’expertise spécifique d’un parti ou des personnes qu’il a fait élire.

Après quelques élections, les partis établis, soit ceux qui recueillent une grande partie des votes, continuent de jouer un rôle important, dans les coalitions gouvernementales et dans l’opposition. Chaque parti évolue en fonction de ses appuis réels, et non grâce à une surreprésentation artificielle. Les attentes de la population évoluent également, puisque la contribution de tous les partis est visible dans une coalition gouvernementale et qu’il est possible de recourir à des personnes élues de différents partis, tant pour représenter un territoire que pour aborder une question sociale ou économique.

Voir la page des propositions de l’autrice, le document réunissant les aide-mémoire et les propositions, de même que la documentation qu’elle partage en lien avec le respect de la volonté populaire, en particulier:

Sur la situation actuelle :

Sur les possibilités offertes :

Pour en savoir plus, voir : Mercédez Roberge, Des élections à réinventer, 2019, Montréal, Éditions Somme toute, 408 pages.