Au lendemain de l’annonce de la tenue d’une consultation sur le Projet de loi no 39, Loi établissant un nouveau mode de scrutin, le gouvernement a déposé un amendement contenant 161 articles à y intégrer. Ce faisant, il ne rédige rien de moins qu’une nouvelle Loi sur la consultation populaire (LCP).
Rappelons qu’au lieu de respecter son engagement d’inaugurer un mode de scrutin proportionnel mixte compensatoire en octobre 2022, le projet de loi 39 précise que son adoption doit se faire par un référendum à cette même élection, mais que la LCP ne s’y appliquerait pas. Le gouvernement devait donc tôt au tard déterminer des règles référendaires, ce qui ne justifie ni la méthode utilisée, ni le contenu proposé.
En effet, les propositions du gouvernement causeraient de graves problèmes démocratiques, et pas seulement en raison de la simultanéité de deux campagnes, l’électorale et la référendaire, car plusieurs modifieraient fondamentalement l’exercice d’un référendum en instituant de nouvelles règles, pour on ne sait combien de temps.
(Voir aussi le texte résumé : Quand les règles référendaires avantagent le statu quo du 28 décembre 2019)
Quelques uns des 161 amendements du gouvernement
Tout d’abord, en allongeant à 5 mois la période référendaire, soit du 1er mai au 3 octobre 2022, le gouvernement a répondu aux critiques quant à l’impossibilité, en 33 jours, d’informer la population sur un sujet comme le mode de scrutin. Or, cette concession apparente est bien relative puisque la période estivale débutant dès le 2e mois de la campagne référendaire, l’intérêt de la population sera difficile à amorcer, et à ranimer en septembre, pour un dernier mois de campagne référendaire. Le problème est également structurel puisque ni la subvention publique, ni la limite des dépenses permises, ni les mécanismes pour informer la population ne sont cohérents avec cette nouvelle durée, et encore moins dans le contexte d’un dernier mois partagé avec une campagne électorale.
Ainsi, plutôt que d’accroître le financement public, initialement prévu pour 1 mois, le gouvernement propose que l’État ne verse à chaque camp référendaire que 34% de la somme attribuée en 1995, soit 850 000$ versus 2,5M$ (alors 0,50$ par électeur et électrice). Quant aux dépenses référendaires, limitées à 1,5M$ pour chaque camp, elles représentent aussi le tiers du 5M$ qu’elles étaient 27 ans plus tôt. Soulignons que les contributions individuelles ne combleront pas l’écart, car elles seront davantage versées aux partis, d’autant plus que l’exemption fiscale ne s’applique pas aux contributions référendaires.
Alors que la loi actuelle base les règles financières sur le nombre d’électeur et d’électrice, le gouvernement sort d’on ne sait où des chiffres qui semblent bien arbitraires, mais surtout bien minimes face à la tâche à accomplir. Comment imaginer qu’une organisation pourra fournir une information complète en ne disposant que de 850 000$ de fonds publics quand, plus de 786 000$ ont été dépensés, uniquement en frais publicitaires, par la Coalition avenir Québec en 2018 ? Qui plus est, le gouvernement propose de verser la subvention en trois tranches : 150 000 $ au 1er février, et 350 000 $ les 1er mai et 1er août 2022. Pourtant, en 1995 l’allocation complète a été versée 3 jours après le lancement officiel de la campagne.
Tandis que la LCP comprend un article dédié au droit à l’information, spécifiant que le Directeur des élections (DGE) doit, au dernier tiers de la campagne référendaire, transmettre à la population une brochure présentant chacune des options, rien de tel n’existe dans les amendements du gouvernement ; ni le DGE, ni aucun organisme neutre ne seraient chargés d’informer la population.
De fait, le DGE ne doit informer la population que sur la constitution des camps référendaires, et sur la manière de voter. Dans ce dernier cas, l’envoi de l’information ne débuterait qu’à 3 semaines du scrutin et il en serait pratiquement de même pour la transmission des listes électorales à chaque camp référendaire, les privant, pendant 4 des 5 mois, d’importants outils de travail.
Longue et complexe, la constitution des camps référendaires serait aussi plus restrictive que ne le prévoit la Loi actuelle. Ainsi, de 4 courts articles sur la manière de former et d’autoriser un Comité national, les amendements gouvernementaux détaillent le processus par 16 articles consistants. On découvre au fil de ces articles qu’il s’écoulerait 11 mois entre la date de sanction de la loi et la fin de toutes les procédures, ce qui mènerait au 23 avril 2021 si la loi est adoptée au dernier jour de la session de juin 2020. Les personnes et organisations souhaitant agir comme camp référendaire devraient former un nouvel organisme et tout planifier, un an avant le début de la campagne, des actions jusqu’au budget.
Le gouvernement propose aussi d’accroître le rôle du DGE dans la désignation, et même la sélection des deux camps. Si plus d’un organisme voulait agir comme camp référendaire, pour une même option, c’est le DGE qui choisirait, suite à l’analyse des activités et moyens prévus, de l’expertise en matière de modes de scrutin des personnes à leur tête et de leur expérience en matière de communication et d’administration, ainsi que de leur capacité à organiser une campagne d’information publique nationale. Or, une telle évaluation peut être arbitraire et reposer sur des jugements de valeur ayant des conséquences démocratiques importantes. Ce pouvoir accru est d’ailleurs accentué par le retrait du Conseil du référendum, qui devrait pourtant réunir 3 juges de la Cour du Québec.
Que ce soit en campagne électorale ou référendaire, le DGE s’assure que les dépenses pouvant favoriser ou défavoriser un côté ou l’autre ne sont faites que par les personnes et organisations autorisées et que celles-ci respectent les règles et les limites permises. Dans le cas d’un référendum, ces règles limitent aux deux camps référendaires, et dans une moindre mesure, aux « intervenants particuliers référendaires », la possibilité de produire du matériel si celui-ci engendre des coûts. Critiquées à chaque élection, ces règles empêchent la diffusion d’analyses comparatives qui ne peuvent être parfaitement neutres.
À la base, la durée de la campagne référendaire fait en sorte de considérer toute dépense pouvant favoriser ou défavoriser, directement ou indirectement, l’une des options comme une dépense référendaire, et ce, pendant 5 mois.
Mais le gouvernement ajoute deux entraves importantes à la liberté d’expression. En effet, il propose que les dépenses des camps référendaires ne puissent avoir pour effet de favoriser ou de défavoriser directement l’élection de qui que ce soit. Vous avez bien lu, cela équivaut à appliquer la Loi électorale en dehors de la campagne électorale. Ainsi, à compter du 1er mai 2022, les camps référendaires ne pourraient référer à quelque parti, ministre ou membre de l’Assemblée nationale que ce soit, puisque cela pourrait avoir une conséquence sur l’élection qui suivra.
Comme si cela n’était pas suffisant, le gouvernement stipule que durant la campagne électorale, les dépenses d’un parti autorisé, une candidate ou un candidat concernant le référendum seraient intégrées à même leurs limites de dépenses électorales. Cette contrainte s’ajoutant à l’exclusion des responsables des partis politiques et les personnes élues de la direction des camps référendaires, il est facile de prévoir que les partis canaliseront leurs dépenses et leurs énergies à se faire élire plutôt qu’à faire connaître les enjeux du référendum. Ce contexte réduirait encore plus l’attention des médias sur le référendum.
Que des amendements si importants soient déposés plus de 2 mois après le projet de loi no 39 et au lendemain de l’annonce du calendrier de la consultation, laisse perplexe. Au mieux il s’agit d’une mauvaise planification. Au pire, d’une tentative de vouloir limiter les interventions sur le référendum. En effet, les 10 minutes accordées aux auditions* de mémoires ne suffiront pas pour aborder l’ensemble des enjeux, des lacunes techniques à corriger au mode de scrutin proposé, aux actions à prendre pour assurer une représentation cohérente avec la composition de la société, en passant par les entraves démocratiques à contrer à l’égard d’un référendum.
Les amendements du gouvernement mettent en évidence les incohérences découlant de la simultanéité de deux campagnes, mais surtout, ils dénaturent le processus référendaire et ces règles seraient tout autant problématiques quelle que soit la date d’un référendum, et même son objet.
Mercédez Roberge, autrice de « Des élections à réinventer » (2019) et notamment présidente, de 2003 à 2010, du Mouvement démocratie nouvelle
* L’autrice sera reçue le 22 janvier dans le cadre de ces auditions de la Commission des institutions
Lettre transmise aux médias le 11 décembre 2019
Pour lire l'analyse complète des principales règles référendaires