Financement public des partis politiques : avec ou sans votre vote (lettre parue)

Lettre parue le 21 août 2022 sur Pivot

Financement public des partis politiques : avec ou sans votre vote

Les sondages le prédisent depuis des mois : les prochaines élections générales donneront un deuxième mandat majoritaire à la Coalition avenir Québec (CAQ) en répétant les distorsions auxquelles le mode de scrutin uninominal à un tour nous a malheureusement habitué·es.{« type »: »block », »srcClientIds »:[« 8319ed83-763a-45be-96af-abfbac92803f »], »srcRootClientId »: » »}

Selon la projection du 16 août réalisée par QC125 à partir des résultats d’un sondage Léger de juillet, la CAQ pourrait occuper 97 sièges – soit 78 % de l’Assemblée nationale – grâce à seulement 43 % des votes. Il faut reculer en 1985 pour voir un parti monopoliser à ce point l’institution : le Parti libéral du Québec raflait 99 des 122 sièges qu’elle comptait alors, avec 56 % des votes.

Bénéficiant du double de la représentation qu’elle obtiendrait si les votes étaient transposés en sièges, la CAQ aura plus que les coudées franches, d’autant plus qu’elle sera devant une opposition déjà considérablement affaiblie par deux ans et demi de pandémie et de gouvernance par décrets.

Si ce balayage résultait d’un appui populaire unanime, l’on ne pourrait que conclure que la population adore ce parti au point de souhaiter qu’il siège pratiquement seul. Ce n’est évidemment pas le cas.

L’envers de la surreprésentation de la CAQ étant la sous-représentation des autres partis, si ces prédictions s’avèrent exactes l’opposition ne sera formée que par 18 sièges du Parti libéral du Québec, neuf sièges de Québec solidaire et un siège du Parti québécois. Une opposition à ce point réduite aura des conséquences délétères sur la vie démocratique, et ces trois partis disposeront de très peu de moyens et de temps de parole pour participer aux travaux parlementaires, notamment lors des commissions examinant les projets de loi.

S’il est difficile d’en mesurer exactement la portée, il est toutefois possible d’affirmer que les sondages et les prédictions influencent le vote. Sinon, pourquoi seraient-ils régulés, dans près d’une centaine de pays, à travers le silence qu’on impose aux firmes de sondages et aux médias avant les élections?

À se faire marteler qu’une victoire de la CAQ est inéluctable, une partie de l’électorat pourrait voter dans le même sens que la prédiction, tandis qu’une autre, considérant que le jeu est perdu d’avance, n’irait pas aux urnes. Il faut une grande détermination pour voter lorsque l’issue est connue, et il ne serait pas surprenant d’assister à une nouvelle baisse du taux de participation.

Que vous votiez ou non, vous financez un parti politique

Dans le système électoral actuel, savoir que son vote permet de financer le parti de son choix est parfois la seule consolation qu’il reste face à l’assurance de gaspiller son vote. Sauf que le calcul utilisé pour financer les partis est problématique à plusieurs égards.

En effet, Élections Québec utilise la liste électorale (6,1 millions de personnes) pour établir l’enveloppe à distribuer, en multipliant le nombre de personnes inscrites par un montant fixé par la Loi électorale*. La somme totale est ensuite distribuée entre les partis éligibles en fonction des votes obtenus par chacun, mais cette fois selon le pourcentage de leurs votes valides reçus (soit 4 millions).

Simple n’est-ce pas ? C’est surtout incohérent et inéquitable.

Premièrement, le calcul établissant l’enveloppe à distribuer amalgame les 4 millions de personnes ayant voté en 2018 aux 2,1 millions qui se sont abstenues, qui ont annulé leur vote, ou qui ont voté pour des candidatures indépendantes.

Conséquemment ces personnes – soit le tiers de l’électorat – se retrouvent malgré elles (et souvent même sans le savoir) à participer au financement global des partis politiques.

De l’élection de 2018 à celle de 2022, un montant de 46,7 millions $ aura été réparti entre 15 et 18 partis selon les années.

L’enveloppe étant fixée à partir du nombre des électrices et des électeurs inscrit·es, les partis n’ont d’ailleurs aucun avantage à tenter de hausser le taux de participation, le financement demeurant au même niveau, peu importe combien de gens vont voter.

Deuxièmement, s’il est logique que chaque parti politique obtienne un financement public correspondant au pourcentage de vote qu’il a obtenu à la dernière élection, utiliser le total des votes valides soulève deux problèmes.

D’une part, cela équivaut à présumer que 2,1 millions de personnes auraient voté de manière globalement identique aux votes valides, ce qui serait très surprenant. La volonté des personnes ayant choisi l’abstention est ainsi bafouée puisqu’elles financent, malgré elles, des partis qu’elles n’ont pas choisis. De 2018 à 2022, un montant de 16,2 millions $ a ainsi été distribué en leur nom.

Puisque le vote n’est pas obligatoire et que le vote blanc n’est pas reconnu, l’on ne peut que respecter le choix de s’abstenir de voter, message que le système interprète faussement.

D’autre part, cette référence au nombre de votes valides ne reflète pas le nombre réel de votes reçus : 1,5 million de personnes ont voté pour la CAQ, ce qui représente 24,5 % de l’électorat et non pas le 37 % qu’on obtient en occultant les abstentions et en ne portant attention qu’aux votes valides. C’est pourtant ce dernier pourcentage qui sert à la distribution de l’allocation financière, ce qui avantage surtout les partis établis; la CAQ obtenant 17,5 millions $, contre 788 000 $ pour le Parti vert du Québec pour 1,7 % des votes.

Une faille de plus dans un système électoral cassé

Le financement public des partis politiques est un élément important de notre démocratie. En plus de collectiviser la responsabilité du pluralisme politique, il peut servir de levier amenant les partis à assumer leurs responsabilités sociales.

Les problèmes que nous soulevons s’insèrent dans un système électoral incapable de respecter la volonté populaire. Ses défectuosités affectent bien plus que la répartition des sièges à l’Assemblée nationale : elles modifient le développement à long terme des partis politiques en impactant leur financement, et conséquemment, les leviers que ce dernier permet.

Si les sondages voient juste, les prochaines élections seront remportées par le parti qui a renié sa promesse d’instaurer un scrutin proportionnel pour choisir plutôt le statu quo en conservant un mode de scrutin défectueux et sans utiliser le financement public pour diversifier la représentation.

La démesure du pouvoir et du financement qu’il obtiendra seront l’illustration même des défauts du système électoral.

Dans la foulée de la commission Charbonneau, d’importantes réformes du financement des partis politiques ont été mises en place afin de prévenir la corruption, notamment une hausse de 200 % des allocations versées par l’État. Nous ne croyons pas qu’il faut réduire ce financement, mais plutôt  questionner la base de calcul. À cheval sur deux références, la liste électorale et les votes valides exprimés, il mène globalement à un non-respect de la volonté populaire, autant des votes exprimés que de ceux qui ne le sont pas.

Décidément, le système actuel n’est pas fait pour respecter nos choix.


* Les allocations annuelles étant indexées, le montant par personne inscrite a progressé de 1,58 $ à 1,71 $ de 2018 à 2022. L’allocation supplémentaire lors d’une année électorale est demeurée à 1 $ par personne inscrite.