Le respect des éléments constitutifs d’une société

S’assurer que tous les votes comptent et que toutes les personnes comptent.

3- Le respect des éléments constitutifs d’une société: 

  • que les groupes historiquement sous-représentés, soit les femmes, les personnes racisées et les personnes nées à l’étranger et les Autochtones, aient autant accès aux postes de représentation qu’au fait d’être représentés, que toute la population participe aux prises de décisions.

Aux élections québécoises du 1er octobre 2018, 53 femmes ont été élues soit 42%, et 14 personnes racisées ou nées à l’étranger, soit 11%, mais cela ne doit pas faire oublier qu’il a fallu 15 ans pour que le pourcentage de femmes élues augmente de 12 points et que celui des personnes racisées ou nées à l’étranger augmente de 5 points.

La performance nationale ne s’est d’ailleurs pas concrétisée sur tout le territoire puisque dans 8 régions, le pourcentage de femmes élues s’est situé entre 0% et 33%. Quant à la parité, la vraie à 50%, elle a été atteinte dans 6 régions seulement (Abitibi-Témiscamingue, Côte-Nord, Montréal, Laurentides, Mauricie et Montérégie). Avec seulement 14 personnes racisées ou nées à l’étranger ayant été élues à la dernière élection, il ne faut pas se surprendre que seules 7 régions en comptent dans leur représentation, mais dans 5 cas, il ne s’agit que d’une seule personne.

Pour les 5 élections québécoises de 2007 à 2018, la population de 11 régions seulement a compté au moins une femme élue lors de chaque élection, dont seulement 4 ont dépassé 40% d’élues. Quant aux personnes racisées ou nées à l’étranger, la population de 9 régions n’en a jamais élues. Les prévisions démographiques annonçant que la part des personnes nées à l’étranger et des minorités visibles triplera d’ici 2031, comment accepterons-nous que 30% de la population n’accède qu’à 10% ou 15% des sièges? Quant à la sous-représentation des Autochtones, le Québec n’en ayant élu que deux dans toute son histoire, aucun mot n’est assez fort pour qualifier cette situation.

Avec seulement 22% de femmes élues à travers le monde, les défis sont immenses. Or, il est souhaitable que le Québec et le Canada aspirent à mieux performer que cette moyenne.

Pour cette raison, il est utile de se comparer à des pays réussissant mieux que nous, en pourcentage et dans le maintien des bonnes performances durant plusieurs élections. Tant en 2000 qu’en 2018, le nombre de femmes élues est différent selon le mode de scrutin. Les pays utilisant un mode de scrutin de type proportionnel atteignant 13% et 25%, comparativement à 9% et 16% chez ceux de type majoritaire. Ainsi, au 1er octobre 2018, 10 points séparent les deux familles de scrutin. Si seulement 18 pays ont atteint au moins une fois 40% et plus de femmes élues, entre 2000 et 2018, ils sont cependant beaucoup plus nombreux à utiliser un mode de scrutin proportionnel, soit 16 pays.

Si mesurer la représentation obtenue par les femmes est mathématiquement facile, il n’en va pas de même de celle des personnes nées à l’étranger et des personnes racisées, car les statistiques utiles ne sont pas toujours au rendez-vous. Les comparaisons avec d’autres pays nécessitent de faire appel à des données utilisant un terme non familier ici, soit «minorités nationales». Quoi qu’il en soit des termes, il est manifeste, ici comme ailleurs, que les postes de représentation ne sont pas accessibles à toutes et à tous. La représentation des Autochtones ne peut quant à elle être basée sur une question de chiffre, mais de reconnaissance de leur statut particulier, comme premières occupantes du territoire et comme nations. Cela nécessite surtout que les organisations autochtones expriment leurs attentes à l’égard de la représentation politique à l’Assemblée nationale et à la Chambre des communes, s’il y a lieu. Dans l’intervalle, l’on peut au moins s’assurer que les modalités du prochain système électoral puissent accueillir leurs demandes.

Comme pour tout progrès social, la hausse de l’élection des femmes résulte de plusieurs facteurs, mais il est clair que la combinaison du mode de scrutin proportionnel à des mesures structurelles y contribue grandement.

En matière de représentation, les mesures structurelles sont des règles intégrées à même la structure du système électoral. Comme d’autres opérations liées aux élections, des conséquences découlent de leur respect. En étant inscrites dans un texte officiel, comme une loi électorale, leur application ne dépend pas des conjonctures ni des décisions des partis politiques, sous la forme de récompense ou de sanction. Pour être applicables et observées, elles doivent s’appuyer sur des données mesurables, notamment en nombre ou en pourcentage de personnes élues ou candidates répondant à des critères définis et mener à des conséquences. Comparativement, les mesures volontaires sont des règles non contraignantes qu’un parti politique se donne et dont il surveille lui-même l’application. Elles ne portent donc que sur ses propres règles et procédures, par exemple quant au recrutement des candidatures. N’étant pas inscrites dans une loi, leur création et leur application dépendent des décisions des partis politiques et peuvent varier lors d’un changement de direction, ou au gré de la conjoncture.

L’application de mesures structurelles est loin d’être marginale. En octobre 2018, 103 pays en appliquaient pour augmenter l’élection des femmes ou des minorités nationales, soit 55% des 187 pays à travers le monde: 84 pays pour l’élection des femmes, dont 63 sous des modes proportionnels, et 45 pour l’élection des minorités nationales, dont 33 sous des modes proportionnels, incluant 26 pays appliquant les deux types de mesures. De 2000 à 2018, On ne peut que constater qu’il s’agit d’une combinaison gagnante lorsqu’on voit que 20 des 34 pays ayant fait élire au moins 35% de femmes au moins une fois depuis 2000, combinent des mesures structurelles à leur mode de scrutin, lequel est proportionnel dans 16 cas.

Et ces mesures sont efficaces. Ces 16 pays ont fait en moyenne un gain de +25 points depuis la mise en place de mesures structurelles, atteignant même un gain de +44 au Rwanda (scrutin de liste) et +46 en Bolivie (mixte compensatoire). Plus globalement, de 2000 à 2018, les 63 pays qui combinent des mesures structurelles à un mode de scrutin proportionnel atteignent une moyenne de 17% de femmes élues tandis que les 53 pays sous un mode majoritaire et sans mesures structurelles n’en comptent que 7%.

Les mesures structurelles basées uniquement sur le nombre ou le pourcentage de candidates, sans règles quant à leurs positions sur les listes, produisent des résultats non planifiables et moins élevés que lorsque l’alternance est instaurée et que l’atteinte des objectifs se vérifie en pourcentage de personnes élues. Les résultats varient également en fonction de la constitution même des mesures structurelles, par exemple lorsqu’elles ne s’appliquent pas sur la totalité des sièges à combler. L’alternance sur les listes est ainsi la mesure structurelle qui produit les meilleurs résultats, puisque les pays qui l’appliquent font en moyenne élire 30% de femmes, selon les résultats de leur plus récente élection. Il peut aussi être surprenant de constater que 35 des 63 pays de type proportionnel exigent le respect de mesures structurelles pour autoriser les listes de candidatures des partis.

L’instrument utilisé internationalement pour mesurer la représentation des minorités nationales s’appelle l’Indice de représentation ethnique (IRE) et les pays utilisant un mode proportionnel sont plus nombreux à obtenir une meilleure note. Ainsi, des 25 pays ayant les meilleurs IRE, on en retrouve 18 de la famille du mode proportionnel, dont 11 combinent des mesures structurelles pour l’élection des femmes ou des minorités nationales à ce mode de scrutin. Plus largement, on constate que 45 pays appliquent des mesures structurelles pour agir sur la représentation des minorités nationales, dont 33 font partie de la famille proportionnelle. Ces mesures varient selon les contextes nationaux, mais elles sont vues comme des actions qui contribuent à la cohésion sociale et même à la paix. La forme la plus courante consiste à réserver un certain nombre de sièges. L’élection de ces sièges peut par exemple se faire en utilisant une liste distincte ou en découpant différemment le territoire des régions électorales. En Nouvelle-Zélande, la carte des 7 circonscriptions maories est ainsi superposée à la carte générale du pays, qui compte les 20 autres circonscriptions régionales.

Voir la page des propositions de l’autrice, le document réunissant les aide-mémoire et les propositions, de même que la documentation qu’elle partage en lien avec le respect des éléments constitutifs d’une société, en particulier :

Sur la situation actuelle :

Sur les possibilités offertes :

Pour en savoir plus, voir : Mercédez Roberge, Des élections à réinventer, 2019, Montréal, Éditions Somme toute, 408 pages.