Le respect du pluralisme politique

S’assurer que tous les votes comptent et que toutes les personnes comptent.

2- Le respect du pluralisme politique: 

  • que le pluralisme politique d’une société puisse se concrétiser et s’exprimer, que les opinions politiques soient traitées avec équité.

Dans une société où les élections sont libres, pourquoi craindre que chaque parti obtienne le nombre de sièges correspondant à l’appui de la population? Le SMU a altéré notre acceptation du pluralisme politique, au point où la perspective de voir plus de trois ou quatre partis siéger à l’Assemblée nationale suscite des réactions démesurées et totalement antidémocratiques. Voter dans un système qui respecte les choix nous amènera progressivement à reconnaître que les partis recevant des votes répondent aux aspirations d’une partie, grande ou petite, de l’électorat.

La représentation des régions du Québec est une chose importante dans notre démocratie. L’on se préoccupe beaucoup du respect du nombre de sièges par région, mais on met moins l’accent sur la représentation des idées des populations de toutes les régions. Pour le SMU, représenter les régions se limite à répartir l’électorat équitablement sur le territoire dans un nombre déterminé de circonscriptions. Mais les idées des populations habitant ces territoires ne sont pas pour autant représentées, ni au niveau de la circonscription ni sur le plan régional.

La présence de quatre partis politiques à la suite des élections québécoises du 1er octobre 2018 peut donner l’impression que le pluralisme politique de la population est reflété à l’Assemblée nationale. Or, il n’en est rien. Seule la 4e élection québécoise, celle de 1878, a reflété la volonté populaire puisque les 3 partis ayant fait campagne ont tous obtenu des sièges, et en nombre équivalant au pourcentage de leurs votes. Cette situation lui a d’ailleurs valu le plus bas indice de distorsion de l’histoire québécoise, soit 0,2, suivi par l’élection de 1960 (1,9), ces deux élections étant les seules dont l’indice de distorsion est de moins de 5 (depuis 1867, l’indice moyen est 17,7).

Quant aux résultats des régions, aucune région ne compte des députés des 4 partis et seulement 4 comptent 3 partis (Capitale-Nationale, Montréal, Montérégie et Saguenay‑Lac-Saint-Jean). La règle c’est plutôt que 13 régions ne sont représentées que par 1 ou 2 partis.

Rappelons que pour tout le Québec, 18 partis apparaissaient sur les bulletins de 2018 et que dans 7 régions, il y avait au moins 10 partis en course (jusqu’à 15 en Montérégie). Or, le nombre moyen de partis représentés n’est que de 1,8 parti par région.

Les iniquités sont telles que dans toutes les régions, jusqu’à 3 partis ont obtenu 5% et plus de votes, sans obtenir de représentation. Dans 7 régions, la population a donné de 22% à 34% d’appui à des partis, mais elle n’a pas obtenu la représentation de ses idées. Toutes les options politiques en souffrent: votez à 22% pour le PLQ en  Estrie et en  Mauricie, à 26% et 31% dans le Nord-du-Québec et en Gaspésie‑Île-de-la-Madeleine et vous n’obtenez pas de représentation. Votez à 22% ou 23% pour le PQ dans les Laurentides et l’Abitibi-Témiscamingue et vous n’obtiendrez pas de représentation. Pas de représentation non plus pour 34% à la CAQ, sur la Côte-Nord. Quant à QS, les 10 sièges obtenus à l’élection de 2018 ne doivent pas faire oublier que dans 13 régions, il a récolté entre 9% et 17% des votes, sans y obtenir de sièges; obtenant par exemple 15%-17% dans les Laurentides, la Montérégie, l’Outaouais et le Nord-du-Québec.

Ces distorsions n’affectent pas que la répartition des sièges, elles affectent aussi notre vision du paysage politique. L’idée que l’on se fait des tendances politiques de certaines régions est en effet faussée par l’image des résultats électoraux. L’analyse des résultats régionaux des 5 dernières élections, de 2007 à 2018, montre que la population de 16 des 17 régions a subi au moins une fois une monopolisation ou quasi-monopolisation du pouvoir régional, soit lorsque de 70% à 100% des sièges d’une région sont occupés par un seul parti, malgré un vote diversifié.

Loin d’être un phénomène isolé, la monopolisation s’est produite aux 5 élections dans les régions de la Côte-Nord, de Montréal et du Nord-du-Québec; à 4 reprises au Centre-du-Québec et en Outaouais et à 3 reprises dans les régions de l’Estrie et de Laval.

Les iniquités du système sont aussi visibles lorsqu’on regarde le nombre de votes pour obtenir un siège. L’échantillon des 5 élections québécoises depuis 2007 montre que 20 400 votes peuvent suffire pour qu’un parti obtienne un siège, alors qu’un autre aura besoin de 131 600 votes, mais qu’il est aussi possible de n’obtenir aucune représentation avec 153 000 votes.

Le droit d’avoir des opinions politiques et de les exprimer a beau être protégé par la Charte québécoise des droits et libertés et par l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté par l’ONU en 1976, on ne peut que constater que l’exercice de ce droit est limité par le système électoral.

Les partis politiques ont très mauvaise presse, comme si le fait de se réunir autour d’un projet politique était une maladie. Le pluralisme politique nous est souvent dépeint comme un excès de démocratie, comme si la norme devrait être l’alternance entre deux ou trois options politiques, existant de longue date. Que le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, soit allé jusqu’à agiter le spectre de la «montée des voix extrémistes», en février 2017, pour se libérer de sa promesse électorale en dit long sur le mépris général envers le pluralisme politique.

Dans le contexte d’un mode de scrutin de type proportionnel, si aucun parti n’a suffisamment de sièges pour gouverner seul, c’est parce qu’il n’a pas obtenu suffisamment de votes pour gouverner seul. Cette logique nous étant actuellement inconnue, plusieurs croient qu’une coalition gouvernementale ne respecte pas le vote, alors que c’est tout le contraire. Une coalition gouvernementale est tout simplement le reflet du message populaire; elle se compose donc en fonction du résultat proportionnel du vote et elle est plus respectueuse du vote qu’un gouvernement majoritaire. Elle est aussi plus durable qu’un gouvernement minoritaire, étant encadrée par des règles pour baliser les situations où une coalition gouvernementale peut perdre la confiance de l’Assemblée législative. Par exemple, en Allemagne, si le Parlement (Bundestag) veut défaire le gouvernement, ses membres doivent déposer, dans les 48 heures, une motion désignant une nouvelle chancelière ou un nouveau chancelier, ce qui correspond à former une nouvelle coalition gouvernementale. Il n’y a donc pas de vide ni retour systématique en élection. Quant à la durée, les législatures de gouvernements élus par modes de scrutin de type proportionnel comme celles de l’Allemagne, de la Bolivie, de l’Irlande ou de la Norvège durent entre 3,5 et 4 ans en moyenne, et ce, généralement sous des coalitions gouvernementales. Comparativement, les 3 législatures minoritaires québécoises ont duré 2,1 ans contre 3,5 ans pour les 39 gouvernements majoritaires, pour une durée totale moyenne de 3,4 ans.

Le fonctionnement d’une coalition gouvernementale diffère de celui d’un gouvernement majoritaire et minoritaire, parce que le pouvoir est partagé plutôt que monopolisé par un seul parti. Les réalisations des coalitions gouvernementales ont davantage de chance de disposer d’une adhésion importante de la population que si elles sont le fruit d’un seul programme. De plus, à moins de changements majeurs dans la volonté populaire, il est plausible qu’une part de la coalition gouvernementale fasse partie de la coalition suivante; ce faisant, la nouvelle coalition gouvernementale risque moins de faire table rase du passé, ce à quoi on assiste actuellement à toutes les deux ou trois élections.

Sur le plan exécutif, le poste de premier ou de première ministre et les postes du conseil des ministres seront comblés par les personnes élues de plus d’un parti. Il y a donc plusieurs partis gouvernementaux, plutôt qu’un seul, ce qui mène à des décisions en conformité avec plus d’un programme politique. Les sièges du conseil des ministres peuvent alors être répartis en fonction du pourcentage de votes obtenus par chaque parti composant la coalition gouvernementale, mais aussi en fonction de l’expertise spécifique d’un parti ou des personnes qu’il a fait élire.

Voir la page des propositions de l’autrice, le document réunissant les aide-mémoire et les propositions, de même que la documentation qu’elle partage en lien avec le respect du pluralisme politique, en particulier :

Sur la situation actuelle :

Sur les possibilités offertes :

Pour en savoir plus, voir : Mercédez Roberge, Des élections à réinventer, 2019, Montréal, Éditions Somme toute, 408 pages.