Les faits, et non les peurs, doivent guider le processus de remplacement du mode de scrutin

Lettre transmise le 19 septembre au journaux Le Devoir et La Presse, en réplique aux propos de messieurs Gobé, Leduc et Dufour publiés dans leurs pages.

Le 18 septembre, Jean-Claude Gobé et Simon Leduc affirmaient, dans Le Devoir, qu’il serait soi-disant « néfaste pour le Québec » de changer de mode de scrutin. Tout comme Christian Dufour, ils s’inquiètent de la diminution du « pouvoir québécois » et du poids politique des francophones. Ce dernier prétend même, dans La Presse du 19 septembre, que la démocratie serait non « fonctionnelle » si elle permettait « la représentation politique des opinions de tout un chacun ».

Vous pensiez qu’il était normal qu’une société démocratique vise le respect des opinions de tout le monde? Messieurs Gobé, Leduc et Dufour ne semblent pas de cet avis.

Ces messieurs laissent entendre qu’un mode de scrutin type proportionnel ne permet pas de changer de gouvernement, comme on le fait actuellement. En plus d’amalgamer stabilité politique et réalisation de grands projets, ils avancent à tort que le Québec serait ingouvernable sous une coalition gouvernementale, en raison d’élections prétendument à répétition. Mais la plus énorme des faussetés qu’ils propagent est d’affirmer que des membres de l’Assemblée nationale ne seraient pas élus, mais nommés par les partis.

Sérieusement… Si leurs allégations étaient vraies, les 113 pays qui utilisent un système électoral de type proportionnel (60% de tous les pays) seraient considérés comme des dictatures. Cela signifierait que les assemblées de ces pays n’auraient jamais gouverné ni été formées de personnes dûment élues, et qu’aucun gouvernement n’aurait été remplacé. Cela n’étant évidemment pas le cas, regardons les faits, tels que présentés dans « Des élections à réinventer ».

Dans un système électoral proportionnel mixte compensatoire, comme envisagé pour le Québec, l’électorat vote deux fois plutôt qu’une. En plus de choisir une personne pour représenter la circonscription, locale ou autre, un 2e bulletin de vote permet de choisir un parti et son équipe pour représenter la région électorale. Quel que soit le bulletin ayant servi à leur élection, les membres de l’Assemblée nationale seront évidemment redevables envers la population. Prétendre qu’il s’agit de nominations est au mieux risible, au pire, dangereux.

Dans le système actuel, que le gouvernement soit minoritaire ou majoritaire, les décisions se prennent par un seul parti. Ne tenant pas compte du pourcentage de vote obtenu, un gouvernement minoritaire peut être formé avec 33% (PLQ 2007) ou avec 32% des votes (PQ 2012) et seulement 37% des votes suffisent pour un gouvernement majoritaire (CAQ 2018). Ce ne sont pas des exceptions. Depuis 1970, des 14 gouvernements du Québec seulement 3 ont obtenu 50% et plus des votes; le dernier remontant à 30 ans. Pire, le parti ayant obtenu le plus grand nombre de votes peut ne pas constituer le gouvernement. Depuis 1867 la population québécoise a vécu 9 de ces renversements de volonté populaire, 5 fois à Québec et 4 fois à Ottawa. Ne serait-ce qu’aux 5 dernières élections québécoises, les populations de 10 régions ont vécu le même phénomène jusqu’à 3 occasions supplémentaires.

Quant à la supposée stabilité, depuis 1867, la durée moyenne des gouvernements majoritaires québécois a été de 3,5 années, baissant même à 2 ans, lorsque minoritaires. En comparaison, la durée moyenne des législatures allemandes, où les coalitions sont usuelles sous un système proportionnel mixte compensatoire, est de 3,7 années.

Les médias nous parlent des coalitions gouvernementales d’autres pays uniquement lorsqu’elles prennent fin et mènent à des élections, ce qui modifie notre vision. Lorsque le vote est réparti entre plusieurs partis, sans que l’un d’eux n’obtienne la majorité des appuis, c’est parce qu’aucun n’obtient le mandat de gouverner seul. Voir une anomalie dans le respect de l’appui populaire en dit long sur la culture politique à laquelle ces messieurs tiennent tant. Un gouvernement de coalition est plus fort, dans ses affaires internes comme face aux autres gouvernements, parce qu’il compte sur l’appui populaire accordé à 2 partis et qu’il représente 50% et plus des votes comme des sièges. Les ministres étant alors issus de plus d’un parti, les décisions peuvent obtenir une adhésion plus large que si le gouvernement est majoritaire ou minoritaire.

Les injustices causées par la non concordance entre votes et sièges peuvent susciter différents niveaux d’indignation, mais d’y voir une force, comme le font ces tenants du statu quo est ahurissant. Que l’on soit d’accord ou non avec les idées politiques des autres, le pluralisme politique est une réalité et aucun agenda politique ni aucune cause ne peut justifier de conserver un système électoral pour favoriser ses idées, au détriment de celles des autres.

 

Mercédez Roberge,autrice de Des élections à réinventer, 2019, Montréal, Éditions Somme toute.

www.MercedezRoberge.ca