Ce texte fait partie de Élections québécoises 2022 et précédentes : S’indigner et remplacer le système électoral, une recherche de Mercédez Roberge, mise en ligne en octobre 2024. Téléchargez le document complet pour accéder plus facilement aux données des figures et des tableaux et consultez la table des matières. |
Les problèmes inhérents à l’utilisation de notre mode de scrutin ne sont peut-être pas dans l’actualité québécoise quotidiennement, mais les demandes pour le remplacer ne sont pas sur le point de disparaître. Depuis la première dénonciation médiatique des injustices qu’il cause, en 1890 dans le journal L’Électeur, la quête d’un système électoral[1] à la hauteur d’aspirations démocratiques légitimes est trop fondamentale pour cesser.
Le 3 octobre 2022, la forte surreprésentation obtenue alors par la Coalition avenir Québec (CAQ) a particulièrement marqué les esprits, attirant davantage l’attention des médias que lors les élections précédentes. Pourtant, les distorsions observées n’étaient pas nouvelles et la responsabilité du système électoral majoritaire uninominal à un tour (SMU1T)[2] était bien connue.
Il faut dire que seulement quelques mois nous séparaient de l’abandon, par le premier ministre François Legault, du projet de loi 39 Loi établissant un nouveau mode de scrutin, lequel devait introduire un mode de scrutin proportionnel mixte compensatoire. L’abandon du gouvernement est d’autant plus injurieux qu’il a lui-même reconnu la nécessité de remplacer le mode de scrutin actuel dans son préambule. Le premier ministre a eu beau tenter de justifier son recul en déclarant, un mois avant les élections, que la réforme du scrutin « n’intéresse pas la population, à part quelques intellectuels », les mentions du sujet lors des populaires revues télévisées[3] soulignant la fin de l’année 2022 ont prouvé le contraire.
Deux ans plus tard, les résultats des dernières élections révèlent encore bien des enseignements pour donner l’heure juste sur l’état de la démocratie québécoise. En effet, dès les premières analyses des élections de 2022, la super majorité de la CAQ a souvent été présentée comme un record, référant parfois à un balayage similaire s’étant produit en 1973, au profit du Parti libéral du Québec de Robert Bourassa. Or, la réalité est plus dramatique, puisque c’est plutôt 20 élections qui ont donné lieu à de telles monopolisations de l’Assemblée nationale. Le record, réel quant à lui, que constitue l’élection de 46% de femmes a aussi été classé bien rapidement comme étant paritaire, sans mentionner que toutes les régions ne l’avaient pas atteint.
De nombreux autres aspects des résultats des élections du 3 octobre 2022 n’ont pas été analysés, ou pas suffisamment. C’est ainsi que les conséquences régionales du raz-de-marée caquiste ont été peu soulevées, alors qu’il signifiait que des régions entières étaient représentées sans égard à la diversité des votes s’y étant exprimés. Cela signifiait aussi que l’accès aux personnes élues des partis d’opposition n’était dorénavant possible que dans 8 régions, alors que les membres du parti gouvernemental ne sont pas toujours les mieux placés pour aider une personne faisant appel à son bureau de circonscription.
Et ce ne sont que quelques éléments à garder en mémoire pour établir le portrait de la dernière élection québécoise et constater qu’elle n’est pas une exception, mais qu’elle s’inscrit totalement dans la règle voulant qu’au Québec, le pouvoir politique ne soit jamais partagé comme il devrait l’être.
La raison est très simple : en aucun temps, le système majoritaire ne tient compte du pourcentage des votes obtenus, car il n’est pas fait pour cela. Son objectif est de compiler le nombre de circonscriptions remportées par chaque parti, celui en remportant davantage que son plus proche rival formant le gouvernement, majoritaire ou minoritaire. Même dans ce dernier cas, les décisions sont monopolisées par un seul parti, alors que le vote était diversifié. Cette situation nous est tellement familière que nous peinons à imaginer le fonctionnement d’une coalition gouvernementale. Pourtant, cela est d’une simplicité désarmante : dans un gouvernement de coalition les ministres sont issus des partis ayant, ensemble, remporté une majorité de votes, et conséquemment, ayant le soutien de la population.
Rappelons d’abord que le système utilisé pour les élections québécoises est le même que pour élire le Parlement fédéral et les assemblées des provinces et territoires. Son nom décrit son fonctionnement : majoritaire, parce que le gouvernement est formé du parti qui remporte au moins un siège de plus que son plus proche concurrent ; uninominal, parce que le bulletin ne permet d’élire qu’une seule personne ; à un tour, parce qu’il n’y a qu’une seule période de vote.
Ainsi, dans un SMU1T, on tient une élection distincte dans chaque circonscription, pour choisir la personne qui la représentera à l’Assemblée nationale. Si cette façon de faire permet à chaque circonscription d’obtenir un siège, elle ne procure pas une bonne représentation pour autant. En effet, ni la variété des opinions politiques exprimées au niveau d’une circonscription, ni leur cumul pour une région ou pour le Québec entier ne sont considérés, pas plus qu’il n’est possible d’arrimer la représentation à l’état de la société, notamment la diversité démographique. Le prix payé pour centrer le système uniquement sur la division du territoire en circonscriptions est très élevé, comme il sera démontré plus loin.
[1] Les termes «système électoral» et «mode de scrutin» décrivent souvent tous deux l’instrument dont on se sert pour choisir les personnes chargées de représenter la population. J’utilise pour ma part davantage le terme système électoral, car il permet d’aller au-delà du calcul des votes et de la forme du bulletin. Cela permet de concevoir la représentation politique comme un système et d’examiner l’ensemble des mécanismes qui contribuent, ou non, à atteindre des objectifs démocratiques de représentation.
[2] Pour des informations générales sur le sujet, consulter l’encadré en annexe « Informations de base sur le fonctionnement du système majoritaire uninominal à 1 tour », le site de l’autrice www.mercedezroberge.ca et son livre Des élections à réinventer, un pouvoir à partager, Éditions Somme Toute, 2019.
[3] Radio-Canada, Bye Bye 2022, 31 décembre 2022 et Radio-Canada, Infoman du 26 janvier 2023.
Compléments
14.1 Informations de base sur le fonctionnement du système majoritaire uninominal à 1 tour
14.2 Portraits des élections de 2022 pour chacune des régions
14.3 Mises en contexte historiques des résultats régionaux et nationaux des élections de 2022 selon les indicateurs de représentation
14.4 Analyse du projet de loi 499, déposé en octobre 2023, par Québec solidaire, en collaboration avec le Parti québécois
Liste des tableaux
Liste des figures
Lexique
Bibliographie