Lettre ouverte – S’indigner pour briser le cycle de la mauvaise représentation : Un nouveau système électoral doit être adopté d’ici 2026

S’indigner pour briser le cycle de la mauvaise représentation

Les élections américaines ont remis dans l’actualité l’influence de leur mode de scrutin, mais revenons maintenant sur notre terrain, pour un état de situation des défaillances démocratiques engendrées par notre propre système, le mode majoritaire uninominal à un tour. Les élections québécoises de 2022 fournissent de nombreux exemples de l’ampleur des problèmes, autant face aux résultats nationaux qu’à ceux des régions[i]. La mauvaise représentation, tout excessive est-elle, n’est pas une exception. Puisqu’elle découle de la conception même du système, elle se reproduira tant que nous ne remplacerons pas ce système désuet.

La forte surreprésentation obtenue par la Coalition avenir Québec, le 3 octobre 2022, a particulièrement marqué les esprits, formant le gouvernement avec ses 90 sièges. Concrètement, cela signifie qu’elle occupe 72% de l’Assemblée nationale, tout en n’ayant récolté que 41% du vote. Non seulement l’obtention d’une telle « supermajorité » n’est pas rare sous notre système, 20 des 43 élections depuis 1867 ayant procuré des résultats équivalents, mais il s’agit de la 7e élection où la victoire est remportée par si peu de votes.

La conséquence de cette surreprésentation se vit cruellement en région, puisque les populations de 13 d’entre elles n’ont accès, ou presque, qu’à des personnes élues du parti gouvernemental, la CAQ y occupant de 80% à 100% des sièges, sans concordance avec les votes exprimés. À chaque élection depuis 2007, entre 8 et 13 régions subissent cette situation en ne récoltant régionalement qu’entre 34 % et 40 % des votes.

À l’autre extrémité, plusieurs partis récoltent des votes consistants sans obtenir de sièges, comme c’est le cas du Parti conservateur du Québec, alors que les 32% de votes récoltés dans la région de Chaudière-Appalaches ne lui procurent aucun siège. L’inégalité dans le poids des votes est d’ailleurs remarquable ici, puisque la CAQ occupe 4 sièges dans la région de Laval avec ce même 32% de votes.

Mais l’examen des écarts entre les votes exprimés et la représentation obtenue, pour des partis en particulier, ne suffit pas. Il est nécessaire d’évaluer une élection dans son ensemble, sa note étant son indice de distorsion (plus le chiffre est élevé, plus la distorsion est forte). Il n’est pas surprenant de constater que les élections de 2022 obtiennent un très mauvais indice de distorsion, soit 25,8. Étant 4 fois plus élevé que si un système proportionnel était utilisé, ce taux démesuré n’est malheureusement pas exceptionnel, 2022 se classant au 10e rang des plus hauts indices de distorsion depuis 1867. La situation est d’autant plus grave, que les régionaux de distorsions varient de 19 à 51, soit des taux similaires à ceux des élections des 15 années précédentes.

À chaque élection, les bulletins qui n’ont pas désigné la personne gagnante pour la circonscription sont tout simplement perdus. Aux élections de 2022, 2,1 millions de votes, soit 53%, ont ainsi été évacués des résultats, tout comme lors des 6 élections depuis 2007. L’analyse des résultats de chaque région trace un portrait pire encore, 12 régions dépassant le taux national en 2022, atteignant même 65,7% à Laval.

Il est quand même surprenant que seulement 2 ans après les élections, tout le monde semble avoir oublié que l’opposition officielle n’est pas formée par le parti arrivé en 2e place en nombre de votes. En effet, le Parti libéral du Québec est arrivé 4e en pourcentages de votes, ayant récolté 43 458 votes de moins que Québec solidaire. Ce renversement des rôles est le 7e à se produire depuis 1867. Qui plus est, dans 2 régions, la répartition des sièges n’a pas suivi l’ordre de préférence exprimé par les votes, ce qui est courant ici, les populations de 10 régions ayant vécu entre 1 et 3 renversements de la volonté populaire régionale durant les 6 élections des 15 dernières années.

La représentation ne s’évalue pas uniquement en fonction de l’accès des idées politiques à l’Assemblée nationale, mais également en regard de la diversification de la classe politique. Si les élections de 2022 ont battu deux records à cet égard, avec l’élection de 46% de femmes et de 16% de personnes racisées ou nées à l’étranger, ces scores n’ont été atteints que dans 7 régions pour le premier et uniquement dans 4 régions pour le second. Le maintien des progrès nationaux n’est par ailleurs pas assuré, des reculs pouvant toujours se produire, comme ce fut le cas en 2014, où le pourcentage de femmes élues chutait de 33% à 27% et l’élection de personnes racisées ou nées à l’étranger passait de 9,6% à 5,6%.

Ce retour sur les élections de 2022 et sur les précédentes, permet de voir la gravité et la récurrence de la mauvaise représentation que nous obtenons systématiquement. Le remède est pourtant clair : le gouvernement Legault doit tout mettre en œuvre pour adopter, avant les prochaines élections, un système proportionnel mixte compensatoire accompagné de mesures structurelles pour diversifier la composition de la classe politique. Depuis 2019, deux projets de loi ont été présentés à l’Assemblée nationale. Ceux-ci demandent d’importantes améliorations, mais il ne s’agit pas de repartir à zéro et il reste assez de temps près de 2 ans pour adopter un système électoral adapté à la société québécoise. Le moment de son application découlera ensuite des considérations logistiques relevant du Directeur général des élections, et non des décisions politiques.

Réclamons que la Loi électorale soit modifiée d’ici à 2026, afin qu’elle contribue à atteindre nos objectifs d’égalité et de diversité en assurant l’accès au pluralisme politique et son respect dans toutes les régions. Si le premier ministre avait rempli son engagement initial, les élections de 2022 auraient été les dernières à utiliser un mode de scrutin qu’il a lui-même jugé inadéquat. La suite de son deuxième mandat lui permet de démontrer qu’il a l’humilité nécessaire pour revenir sur l’abandon malavisé de 2021. S’il ne relance pas les travaux sur le remplacement du système électoral, le gouvernement de la CAQ portera un lourd fardeau, puisqu’il sera non seulement celui qui n’a rien fait pour remplacer le système majoritaire, à l’instar de ceux qui l’ont précédé, mais également celui qui a refusé le changement.  

Mercédez Roberge, autrice de Élections québécoises de 2022 et précédentes : s’indigner et remplacer le système électoral (2024) et de Des élections à réinventer, un pouvoir à partager (2019 – Éditions Somme toute). Présidente du Mouvement démocratie nouvelle de 2003 à 2010.

Lettre ouverte publiée le 19 novembre 2024 dans la section Idées du journal Le Devoir


[i] Source des données : Élections québécoises de 2022 et précédentes : s’indigner et remplacer le système électoral, Mercédez Roberge, octobre 2024. www.mercedezroberge.ca