12 La diversification de la représentation : avoir accès aux postes de représentation

Ce texte fait partie de Élections québécoises 2022 et précédentes : S’indigner et remplacer le système électoral, une recherche de Mercédez Roberge, mise en ligne en octobre 2024. Téléchargez le document complet pour accéder plus facilement aux données des figures et des tableaux et consultez la table des matières.

À travers le monde, le caractère démocratique d’une société est notamment évalué en regardant si le groupe constitué par les personnes élues est en phase avec la composition de la société. Il est ainsi courant de vérifier si les femmes occupent 50% des sièges d’une assemblée législative. Le pourcentage de sièges occupés par des personnes de communautés démographiquement minoritaires doit également être pris en compte, et ce, selon des balises adaptées aux contextes nationaux. Dans le cas québécois, la sous-représentation qui nécessite d’intervenir est celle des personnes provenant de groupes historiquement racisés[1] et des personnes nées à l’étranger, celles-ci faisant face à des barrières spécifiques que n’ont pas les députés moyens[2]. En l’absence de statistiques plus adaptées, estimer l’objectif de représentation à atteindre se fait en comparant la représentation obtenue aux projections de Statistiques Canada. Ces projections estiment que la part démographique des personnes nées à l’étranger pourrait atteindre 34,5% en 2031 et celle issue d’une minorité visible à 26,4%[3].

Vouloir que les diverses composantes d’une société participent aux prises de décision d’une nation n’est pas une idée nouvelle ni un objectif spécifique à une nation ou à une époque. Plusieurs Conventions et Déclarations des Nations Unies affirment, depuis au moins 1954[4], que les États ont le devoir de faciliter la participation à la démocratie et l’accès aux postes de représentation, ce qui nécessite notamment d’intervenir sur les obstacles et sur les conditions mêmes de l’exercice démocratique.

Dans une démocratie, lorsqu’une société est diversifiée au plan démographique, mais qu’elle ne l’est pas lorsqu’on examine la composition du groupe prenant les décisions collectives, il est normal de chercher à diversifier la classe politique issue des élections. Au Québec, que de grandes parts de la population ne se reconnaissent pas dans la composition de l’Assemblée nationale est hautement problématique au regard de la cohésion sociale, de l’adhésion aux décisions collectives jusqu’au désir d’y contribuer. Pouvoir s’identifier à des modèles ne peut que favoriser l’émergence de candidatures se démarquant de la moyenne, dont le portrait, au Québec, est encore un homme blanc de 41 ans et de profession libérale[5].

La reconnaissance de barrières spécifiques, et donc des possibilités de les contrer, se perçoit d’ailleurs dans de nombreux classements établissant le niveau de démocratie. Des indicateurs servant à évaluer la diversification de la représentation sont intégrés dans des palmarès aussi variés que le Democracy Index du Economist Intelligence Unit, l’index de V-dem ou de Democracy Ranking Association affirmant, par le fait même, les bénéfices démocratiques liés à la diversification de la représentation.

Pour évaluer le niveau de diversification d’une classe politique, il faut identifier les groupes historiquement sous-représentés et comparer leur part démographique aux résultats des élections. Au Québec, deux sous-représentations sont évidentes et documentées : les femmes et les personnes racisées ou nées à l’étranger.

D’une part, les femmes n’ont le droit de voter aux élections québécoises et de s’y porter candidates que depuis 1940 et c’est lors de l’élection partielle de 1961 que Marie-Claire Kirkland-Casgrain est devenue la première députée. Malgré les bons résultats des élections de 2022, la représentation paritaire est loin d’être garantie à long terme, car le sexisme n’a pas pris fin à ce moment. Quant aux personnes racisées ou nées à l’étranger, elles vivent des entraves spécifiques à la jeunesse de leurs racines sur le territoire ou au racisme, et souvent aux deux. Dans les deux cas, s’ajoutent notamment des écueils liés à la pauvreté plus grande des femmes et des personnes racisées ou nées à l’étranger.

En absence de mécanismes structurants permettant de pérenniser la diversification de la représentation, nous sommes à la merci de volontés politiques changeantes de la part des personnes au pouvoir, en particulier de celles du parti gouvernemental en raison de l’ampleur de son caucus.

Notre système électoral n’étant pas neutre, il ne l’est surtout pas à l’égard de la diversification de la classe politique. En effet, des différences importantes s’observent lorsqu’on compare les systèmes de la famille proportionnelle à ceux de la famille majoritaire, comme l’illustrent le tableau 21 présentant le pourcentage moyen de femmes élues selon le système électoral, ainsi que selon la présence de mesures structurelles pour leur élection.

Dans le contexte où seulement 25,6%[6] de femmes étaient élues à travers le monde au moment des élections québécoises, avoir atteint ici 46,4% de femmes élues peut donner l’impression que nous n’avons rien à apprendre des expériences internationales. Or, l’analyse de 182 pays[7] fait voir la fragilité de nos acquis puisque nous demeurons désavantagés par la nature même de notre système électoral.

Le lien entre les performances des pays utilisant un système de la famille proportionnel est évident lorsqu’on constate que 10 points séparent le pourcentage moyen de femmes qui s’y font élire comparativement aux résultats atteints dans le contexte d’un système majoritaire, soit 29,4% versus 19,8%. Des différences existent également à l’intérieur d’une même famille, la palme revenant au scrutin de liste et au scrutin mixte compensatoire, atteignant tous deux une moyenne de près de 31% de femmes élues.

La présence de mesures structurelles[8] pour l’élection des femmes fait clairement augmenter le pourcentage de femmes élues[9]. La hausse de près de 6 points observée dans les pays utilisant un scrutin mixte compensatoire est à souligner puisqu’un modèle de ce type est envisagé depuis plusieurs décennies pour le Québec. Quant au nombre de pays ayant mis en place des mesures structurelles, il n’est pas surprenant de constater que 60% des pays de la famille proportionnelle l’ont fait comparativement à 35% chez ceux de la famille majoritaire. En effet, la presque totalité des systèmes proportionnels présentant les listes des candidatures sur les bulletins de votes, il est possible d’amener les partis politiques à équilibrer ces listes en appliquant l’alternance en fonction du genre et à atteindre des objectifs de recrutement de candidates.


[1] Employée au Canada depuis près de vingt ans, par les personnes et les groupes directement concernés et par des institutions, l’expression «personnes racisées» remplace de plus en plus les termes «minorités raciales», «minorités visibles» et «personnes de couleur» jugés «démodés et inexacts». Ainsi que le précise la Commission ontarienne des droits de la personne, pour mettre fin au racisme il faut le comprendre «en tant que réalité à la fois historique et toujours agissante dans la société canadienne» Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Québec); Bibliothèque du Parlement La Journée canadienne du multiculturalisme : le rôle des mots dans le respect de la diversité (août 2014); Commission ontarienne des droits de la personne, Discrimination raciale, race et racisme, fiche disponible sur leur site Internet et Politique et directives sur le racisme et la discrimination raciale, 2005, p. 14.

[2] Les statistiques de l’Assemblée nationale laissent voir qu’il s’agit d’un homme de 41 ans et de profession libérale, mais avec l’observation de la députation on peut ajouter qu’il s’agit d’un homme blanc. https ://www.assnat.qc.ca/fr/deputes/statistiques-deputes.html

[3] Site Web de Statistiques Canada, Projections de la diversité de la population canadienne 2006-2031, mars 2010, pages 45, 47, 63, 65, 51 et 53.

[4] Notamment : Convention sur les droits politiques de la femme, 1954 ; Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, Nations unies, 1965 ; Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, 1979 ; Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, 2007; Déclaration du Chiapas, 2010 ; Déclaration de Santa Cruz de la Sierra, 2014.

[5] Site de l’Assemblée nationale consulté le 6 septembre 2024, https ://www.assnat.qc.ca/fr/deputes/statistiques-deputes.html

[6] Pour les premières chambres ou chambres basses, comme c’est le cas de l’Assemblée nationale québécoise.

[7] Pays reconnus par l’Union interparlementaire et ayant tenu une élection à partir des données de Parline au 1er janvier 2023.

[8] Voir le lexique pour une définition, de même que le site de l’autrice. Mettre un hyperlien pour se rendre aisément au lexique ?

[9] La baisse observée pour le vote unique transférable n’est pas significative en raison du petit échantillon.

La répartition des pays selon trois niveaux de résultats illustre quant à elle que les meilleures performances se retrouvent plus souvent chez les pays utilisant un système proportionnel, comme l’indique la figure 14. Alors que seulement 3 des 72 pays de la famille majoritaire atteignaient 40% et plus de femmes élues au moment des élections québécoises, c’était la réalité de 26 des 110 pays de la famille proportionnelle. Les performances du scrutin de liste se démarquent puisqu’on y trouve non seulement 21 pays atteignant ce score, mais 26 autres atteignant de 25% à 39% de femmes élues. La différence est également marquante au regard de la répartition des pays faisant élire moins de femmes que la moyenne mondiale, soit le tiers des 71 pays utilisant un scrutin de liste, comparativement à 65% des 40 pays utilisant le SMU1T.

Un système électoral ce n’est pas qu’un bulletin de vote, c’est l’ensemble du système permettant de désigner les personnes élues, incluant notamment les règles encadrant l’éligibilité des candidates et des candidats, la provenance du financement des campagnes électorales et la conformité des dépenses durant celles-ci.

Ce n’est pas un hasard si les premières places du classement de l’Union interparlementaire sont systématiquement occupées par des pays utilisant un système électoral de la famille proportionnelle. En effet, ceux-ci peuvent facilement intégrer des règles menant les partis à diversifier leurs listes de candidatures et à suivre des règles comme l’alternance homme femme sur ces listes, assurant ainsi une distribution paritaire des sièges remportés par chaque parti. Or, il est plus difficile d’instaurer des mécanismes agissant sur la diversification de la représentation dans un SMU1T comme le nôtre.

Si les élections de 2022 ont effectivement amélioré la situation, ces gains demeurent bien relatifs, car rien n’assure qu’ils se reproduiront. Le changement de système électoral est donc l’occasion d’insérer des mesures structurelles assurant que les bonnes performances de 2022 se pérennisent à l’égard de l’élection de femmes et de personnes racisées ou nées à l’étranger.

12.1 Le portrait national s’améliore enfin, mais sans garantie

S’il faut se réjouir d’avoir atteint le nombre record de 58 femmes aux élections de 2022, cela ne doit pas se faire sans souligner qu’il aura a fallu 60 ans et 17 élections pour atteindre 46% de femmes élues. La figure 15 rappelle que le Québec ne dépasse 33% que depuis 2 élections.
 

De grandes variations s’observent cependant, lorsqu’on compare les partis : en 2022 le pourcentage de femmes élues variant de 0% au PQ, à 62% dans le caucus du PLQ, tandis que la CAQ a atteint le score national. Le tableau 22 illustre d’ailleurs que les résultats de chaque parti varient beaucoup selon les élections ainsi que l’influence des performances du parti gouvernemental (sections grisées), sur le portrait de chaque élection.

Les élections de 2022 se démarquent également des élections précédentes en atteignant 20 personnes racisées ou nées à l’étranger élues (16%) comparativement à 14 à l’élection précédente. Ce progrès est évidemment remarquable, mais on ne peut se satisfaire d’être passé de 5.6% à 16% en 15 ans, comme on le constate par la figure 16. De plus, cela demeure encore très en dessous de ce qu’il faudrait, considérant qu’en 2041 les personnes nées à l’étranger pourraient représenter 34 % de la population canadienne et les personnes racisées pourraient représenter jusqu’à 43,0 % de la population canadienne[1].

Il demeure que l’élection de personnes racisées ou nées à l’étranger est encore en décalage avec la croissance de leur part démographique, et qu’il faut agir pour que le système électoral cesse d’être en retard sur la composition de la société.

Tout comme pour la représentation des femmes, de grandes variations s’observent dans le pourcentage de personnes racisées ou nées à l’étranger élues selon les partis, celui-ci variant, en 2022, de 0% au PQ, à 36% dans le caucus de Québec solidaire. Le tableau 23 démontre aussi que les résultats de chaque parti varient beaucoup selon les élections.

Ces décalages entre la composition de la société et les personnes qui la représentent ne se régleront pas par magie ; ils se produiront tant que la diversification de l’Assemblée nationale ne sera pas issue d’actions coordonnées.

L’optimisme débordant s’étant exprimé à la suite des élections de 2022 est quand même singulier, plusieurs, dont le premier ministre, affirmant que l’Assemblée nationale était maintenant paritaire et aussi diversifiée que la population. Or, présenter ces résultats comme des exploits, et pire comme des objectifs atteints, font oublier qu’ils devraient être la norme depuis longtemps et qu’il n’y a aucune indication qu’ils seront pérennes.


[1] Statistiques Canada, Le Canada en 2041 : une population plus nombreuse, plus cosmopolite et comportant plus de différences d’une région à l’autre, 8 septembre 2022 https ://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/220908/dq220908a-fra.htm


Compléments

14.1  Informations de base sur le fonctionnement du système majoritaire uninominal à 1 tour
14.2  Portraits des élections de 2022 pour chacune des régions
14.3  Mises en contexte historiques des résultats régionaux et nationaux des élections de 2022 selon les indicateurs de représentation
14.4  Analyse du projet de loi 499, déposé en octobre 2023, par Québec solidaire, en collaboration avec le Parti québécois

Liste des tableaux
Liste des figures
Lexique
Bibliographie