7 Les écarts entre les votes recueillis et les sièges occupés : la sous-représentation est aussi grave que la surreprésentation

Ce texte fait partie de Élections québécoises 2022 et précédentes : S’indigner et remplacer le système électoral, une recherche de Mercédez Roberge, mise en ligne en octobre 2024. Téléchargez le document complet pour accéder plus facilement aux données des figures et des tableaux et consultez la table des matières.

On parle de surreprésentation lorsqu’un parti obtient plus de sièges que sa part de vote recueilli, et de sous-représentation dans le cas contraire. Dans les deux cas, la volonté populaire n’est pas respectée.

Il ne serait que normal de voir chaque parti occuper sa juste part de sièges, ni plus ni moins. Or, nous ne pouvons pas obtenir une bonne représentation politique avec le SMU1T, tout simplement parce qu’il ne vise pas cet objectif. À chaque élection, des partis occupent moins de sièges que la part de votes obtenus, voire même aucun siège malgré des appuis significatifs. La surreprésentation est également habituelle, souvent au bénéfice du parti gouvernemental, mais pas uniquement.

7.1 Pour une 20e fois le parti gouvernemental occupe plus de 72% des sièges

L’ampleur du caucus gouvernemental a marqué les esprits suite aux élections de 2022. Grâce à la surreprésentation de 31 points accordée à la CAQ celle-ci occupe 72% des 125 sièges alors qu’elle n’a obtenu 41% de votes valides. Cette surreprésentation a procuré au gouvernement une majorité impressionnante de 90 sièges, ne laissant que 35 sièges aux trois partis ayant cumulé 44 % du vote.

S’il est vrai qu’une telle « supermajorité » n’avait pas été vue depuis 1989, lorsque le PLQ de Robert Bourassa a occupé 92 sièges, soit 74% de l’Assemblée nationale, pareille situation n’est absolument pas rare. En effet, l’analyse des 43 élections québécoises montre que de telles supermajorités ont été vécues lors de presque une élection sur 2 depuis 1867, comme l’illustre la figure 9. Les élections de 2022 figurent donc parmi les 20 élections où le parti gouvernemental a occupé 72% et plus de sièges, allant jusqu’à 79,7% des sièges dans 9 élections (1867, 1881, 1908. 1912, 1923, 1952, 1956, 1989 et 2022).Les données montrent même que le parti gouvernemental a occupé 90% et plus de sièges et plus lors de 5 élections, comme ce fut le cas en 1973, mais aussi en 1900, 1904, 1916 et 1919.

Le tableau 28 (en annexe) intitulé « Synthèse des indicateurs de représentation des 43 élections québécoises 1867 à 2022 » montre également qu’une surreprésentation de +31 points n’est pas vraiment rare dans nos élections, cela s’étant produit 8 fois, atteignant même +38 à +40 aux élections de 1948, 1973 et 1919. Depuis 1867, la surreprésentation moyenne accordée au parti gouvernemental est d’ailleurs de +21 points.

Du côté des sous-représentations, les élections de 2022 se démarquent surtout par l’absence de sièges accordés au PCQ, malgré ses 530 786 votes recueillis, ainsi que le souligne le tableau 11. Ce grand nombre de votes perdus constitue un triste record, le précédent appartenant au Parti vert du Québec, qui avait récolté 152 885 votes en 2007 sans obtenir de siège. Avec 12,9% du vote, le PCQ ne bat cependant pas le record au niveau du pourcentage de votes sans représentation, les candidats sous l’affiliation politique « Libéral indépendant » ayant récolté 16,9% des votes en 1919 sans obtenir de siège.

7.2 Une représentation régionale systématiquement faussée

Mesurer la surreprésentation et la sous-représentation d’un parti face au % de votes qu’il a recueillis illustre bien le non-respect de la volonté des populations des régions.

Dans toutes les régions, le parti remportant le plus grand nombre de sièges régionaux le fait en étant surreprésenté face au pourcentage de votes obtenus. Il n’est donc pas surprenant de constater, par la figure 10, qu’en 2022 c’est la CAQ qui bénéficie de la surreprésentation dans 16 régions (de +25% à +64%), tandis que c’est le PLQ qui en profite dans la région de Montréal (+24%).

La surreprésentation du parti gouvernemental va de pair avec la monopolisation des sièges de plusieurs régions, comme on le verra plus loin. Dès 9 régions où la CAQ a raflé 100% des sièges, la hauteur de sa surreprésentation de 4 d’entre elles se situe entre +50% et +64%, soit le Centre-du-Québec (+50%), Laurentides (+52%), Abitibi-Témiscamingue (+54%) et Nord-du-Québec (+64%).

La conséquence ultime de la sous-représentation étant qu’un parti n’obtienne pas de siège malgré un soutien consistant, c’est ce que les populations de 7 régions ont subi en 2022, alors que les partis y ont recueilli de 20% à 32% des votes, équivalant à des sous-représentations d’autant. Les régions de Lanaudière (-20 % PQ), Capitale-Nationale (-21% PCQ), Abitibi-Témiscamingue (-21% QS), Centre-du-Québec (-22% PCQ), Côte-Nord (-23% PQ), Nord-du-Québec (-24% QS) et Chaudière-Appalaches (-32% PCQ). Ce dernier exemple est d’autant plus frappant qu’avec sensiblement le même pourcentage de votes, la CAQ obtenait 4 des 6 sièges de la région de Laval versus aucun des 7 sièges de Chaudière-Appalaches pour le PCQ comme détaillé dans les figures 17 à 33 présentant les résultats complets des élections québécoises du 3 octobre 2022 pour chaque régions.

Les élections de 2022 ne se démarquent d’ailleurs pas de la moyenne des 6 élections récentes, comme le démontre le tableau 12. Depuis 2007, les populations de 7 régions ont appuyé, à raison de 20% à 35%, des partis qui n’ont pas obtenu de siège. Seules les régions de l’Île-de-Montréal et de la Montérégie n’ont jamais subi cette situation, très répandue chez les autres régions, puisque dans 7 régions elle s’est produite lors de la majorité et même de la totalité des élections depuis 2007.

De fait, depuis 2007, en moyenne, 12 régions sont surreprésentées de +25 points, les élections de 2022 égalant le record de 2018, avec une surreprésentation de +25 points dans 15 régions, dépassant même 50 points dans 5 de ces régions.

7.3 Sous-représentation et surreprésentation résultant des écarts entre les votes recueillis et les sièges occupés : Faits saillants des élections de 2022 et autres constats

  • Surreprésentation : La CAQ a obtenu, avec 41% du vote, une « supermajorité » de 90 sièges, soit 72% des 125 sièges que compte l’Assemblée nationale. Les 35 sièges restants ont été distribués à trois partis, comptant pour 44 % du vote. Depuis 1867, 20 élections ont procuré des supermajorités équivalentes et même supérieures, dépassant 90% des sièges à 5 reprises, le plus récent exemple étant en 1973, lorsque les libéraux de Robert Bourassa ont occupé 92,7% des sièges, soit 102 des 110 sièges d’alors.
  • Sous-représentation nationale : Les 530 786 votes du PCQ ne lui ont procuré aucun siège, soit le plus grand nombre de votes non représentés depuis 1867. Le record précédent appartenait au Parti vert du Québec, qui avait récolté 152 885 votes en 2007 sans obtenir de siège. Mais en termes de pourcentage, les 13% du PCQ ont été dépassés en 1919, alors que les candidats sous l’affiliation politique « Libéral indépendant » récoltaient 16,9% des votes sans obtenir de siège.
  • Dans toutes les régions, le parti remportant le plus grand nombre de sièges régionaux le fait en étant surreprésenté face au pourcentage de votes obtenus, pour des écarts allant de +24% à +64%. Dans 16 régions, la surreprésentation a bénéficié à la CAQ, tandis que c’est le PLQ qui en a profité dans la région de Montréal.
  • La conséquence ultime de la sous-représentation étant qu’un parti n’obtienne pas de siège malgré un soutien consistant. Dans 7 régions, un parti ayant de 20% à 32% des votes n’a pas eu de siège, 3 fois au détriment du PCQ, 2 fois au désavantage de QS et autant au PQ, ce qui correspond à la moyenne depuis 2007. Aux élections de 2022, c’est le PCQ qui en a souffert le plus, n’obtenant aucun siège pour ses 32% des votes dans Chaudière-Appalaches, le même pourcentage de votes ayant procuré 4 sièges à la CAQ dans la région de Laval.
  • Les systèmes électoraux de la famille proportionnelle sont conçus pour limiter autant la surreprésentation que la sous-représentation, car les deux sont problématiques. Un système proportionnel mixte compensatoire bien conçu mettrait fin à ces écarts.

Compléments

14.1  Informations de base sur le fonctionnement du système majoritaire uninominal à 1 tour
14.2  Portraits des élections de 2022 pour chacune des régions
14.3  Mises en contexte historiques des résultats régionaux et nationaux des élections de 2022 selon les indicateurs de représentation
14.4  Analyse du projet de loi 499, déposé en octobre 2023, par Québec solidaire, en collaboration avec le Parti québécois

Liste des tableaux
Liste des figures
Lexique
Bibliographie