8 La monopolisation du pouvoir par un seul parti : une situation inévitable dans le système majoritaire

Ce texte fait partie de Élections québécoises 2022 et précédentes : S’indigner et remplacer le système électoral, une recherche de Mercédez Roberge, mise en ligne en octobre 2024. Téléchargez le document complet pour accéder plus facilement aux données des figures et des tableaux et consultez la table des matières.

Dans notre système, le parti remportant l’élection détient toujours 100% de pouvoir. Qu’il forme un gouvernement minoritaire ou majoritaire, les postes de première ou de premier ministre et du cabinet des ministres sont issus uniquement du parti gagnant. Le statut de parti gouvernemental procure non seulement le contrôle de l’agenda politique, mais aussi des avantages importants, notamment au niveau du temps de parole dans les procédures parlementaires. Même lorsque le gouvernement est minoritaire, il ne partage pas le pouvoir avec des partis d’opposition, il doit seulement négocier avec eux lors de votes importants, un gouvernement minoritaire n’étant défait que s’il perd un vote dit « de confiance », comme c’est le cas pour celui sur le budget.

Alors que cela est possible dans un système de la famille proportionnelle, le SMU1T n’est pas compatible avec la formation d’un gouvernement de coalition. Dans ce dernier, le conseil des ministres réunit des membres de plusieurs partis, afin de tenir compte des appuis qu’ils ont recueillis lors des élections, et dans l’objectif de collaborer. Puisque dans un système proportionnel la répartition des sièges vise à correspondre au pourcentage de votes obtenus, le gouvernement se retrouve formé et soutenu par des partis constituant, ensemble, la majorité des sièges. Une coalition gouvernementale est donc beaucoup plus démocratique qu’un gouvernement majoritaire ou minoritaire où un seul parti monopolise le pouvoir, de l’agenda jusqu’à l’adoption des projets de loi, en passant par la durée du temps de parole dans tous les aspects de la vie parlementaire.

8.1 L’Assemblée nationale monopolisée grâce à 41% des votes

On assiste à la monopolisation du pouvoir lorsqu’un seul parti forme le gouvernement, qu’il soit minoritaire ou majoritaire, puisqu’il détient tous les sièges ministériels, sans correspondance avec les votes obtenus. Le SMU1T n’étant pas compatible avec la formation de gouvernements de coalition, le pouvoir est toujours monopolisé, car un seul parti forme le gouvernement. Mais la monopolisation du pouvoir s’observe également régionalement, soit lorsqu’un parti y occupe tous les sièges sans égard au nombre de votes recueillis. On parlera d’une quasi-monopolisation lorsqu’un parti occupera 75% et plus des sièges d’une région ou d’un territoire donné.

Aux élections de 2022, la CAQ a obtenu 100% du pouvoir alors qu’elle n’a recueilli que 41% du vote. Il s’agit de la 7e élection où la victoire est remportée par si peu de votes, comme l’expose le tableau 13. Les plus récents exemples, pour un gouvernement majoritaire, se situant en 2018, avec seulement 37,4% des votes, et en 2012, et de 32% pour un gouvernement minoritaire.

Mais les élections de 2022 se distinguent ici par l’ampleur du caucus de la CAQ, occupant 72% des sièges, alors que ce pourcentage n’a pas dépassé 60% dans les 6 autres élections de cette série.

Une telle supériorité en nombre permet non seulement de contrôler l’agenda législatif, mais a des conséquences sur l’attitude d’un gouvernement, du ton de la période des questions jusqu’au fonctionnement des commissions parlementaires. Le premier ministre Legault ne s’est d’ailleurs pas privé pour faire sentir qu’il pouvait se passer de l’avis des autres partis. Il n’y a qu’à se remémorer le contexte d’adoption du projet de loi 15, remplaçant complètement la Loi sur les Services de Santé et les Services sociaux, ou du projet de loi 31-Loi modifiant diverses dispositions législatives en matière d’habitation , retirant des droits aux locataires, pour avoir des exemples de l’influence qu’une supermajorité peut avoir.

Quant aux 35 personnes élues provenant des autres partis, il n’y a qu’à regarder l’addition de leurs responsabilités, par exemple dans des « cabinets fantômes », pour constater qu’elles ne peuvent suivre parfaitement tous les dossiers et qu’il leur est difficile d’obtenir de l’attention.

8.2 Le pouvoir est monopolisé dans 13 régions

La monopolisation du pouvoir se répercute dans les relations entre la population et les membres de l’Assemblée nationale. En effet, les populations de 9 régions ont uniquement accès à des députées et députés de la CAQ, les empêchant de recourir à des personnes élues des partis d’opposition. Dans 4 autres régions, le monopole est presque complet puisque la CAQ y occupe de 80% à 91% des sièges, ainsi qu’il est détaillé au tableau 14. Rappelons que dans ces 13 régions la CAQ n’a été appuyée que par 36% à 58% des votes.

Ce portrait est malheureusement similaire à celui des 6 élections récentes. Depuis 2007, toutes les régions, sauf le Bas-Saint-Laurent, se sont retrouvées avec des caucus régionaux d’une seule couleur ou presque : 14 régions l’ont même vécu à au moins 2 reprises, dont 6 lors de 5 et 6 élections comme le détaille le tableau 27 en annexe « Synthèse des indicateurs de représentation des 6 élections de 2007 à 2022, selon les régions ».

À chaque élection, au moins 8 des 17 régions du Québec (2012 et 2014) – et même jusqu’à 13 d’entre elles (2022) – ont vu un seul parti emporter entre 75 et 100 % des sièges tout en ne récoltant généralement qu’entre 34 % et 40 % des votes comme illustré par la figure 11.

8.3 Monopolisation du pouvoir par un seul parti : Faits saillants des élections de 2022 et autres constats

  • La CAQ forme le gouvernement, et détient 100% du pouvoir, alors qu’elle n’a obtenu que 41% du vote. Il s’agit de la 7e élection où la victoire est remportée par 41% et moins de votes. Le plus récent exemple, pour un gouvernement majoritaire, étant en 2018 avec 37,4% des votes, et en 2012, avec 32% pour un gouvernement minoritaire.
  • Depuis 2022, les populations de 9 régions n’ont accès qu’à des personnes élues du parti gouvernemental et les sièges de 4 autres régions sont monopolisés de 80% à 91% par ce même parti, sans concordance avec les votes exprimés. Ces situations ne sont pas exceptionnelles, puisque 10 régions en ont souffert de 4 à 6 fois, dans le cadre des 6 élections précédentes. Depuis 2007, toutes les régions, sauf le Bas-Saint-Laurent, se sont retrouvées avec des caucus régionaux d’une seule couleur ou presque : 14 régions l’ont même vécu à au moins 2 reprises, dont 6 lors de 5 et 6 élections.
  • À chaque élection, au moins 8 des 17 régions du Québec (2012 et 2014) – et même jusqu’à 13 d’entre elles (2022) – ont vu un seul parti emporter entre 75 et 100 % des sièges tout en ne récoltant généralement qu’entre 34 % et 40 % des votes.
  • Le partage du pouvoir, en respect de la volonté populaire exprimée, devrait aller de soi dans une démocratie, mais cela ne sera possible qu’en changeant de système électoral. Dans un système proportionnel mixte compensatoire bien conçu chaque parti occuperait le nombre de sièges demandé par les votes. Lorsqu’aucun parti n’obtient la majorité des sièges, il est alors normal de former un gouvernement de coalition et de partager le pouvoir, dont les ministères, avec d’autres partis.

Compléments

14.1  Informations de base sur le fonctionnement du système majoritaire uninominal à 1 tour
14.2  Portraits des élections de 2022 pour chacune des régions
14.3  Mises en contexte historiques des résultats régionaux et nationaux des élections de 2022 selon les indicateurs de représentation
14.4  Analyse du projet de loi 499, déposé en octobre 2023, par Québec solidaire, en collaboration avec le Parti québécois

Liste des tableaux
Liste des figures
Lexique
Bibliographie