Fiche #1: Le prix du statu quo est trop cher. Qui a peur de réinventer les élections?

La fiche #1  « Le prix du statu quo est trop cher. Qui a peur de réinventer les élections? » vise à répondre aux énormités les plus flagrantes lorsque le statu quo est présenté, à tort, comme étant préférable au changement de mode de scrutin. Elle contient également une analyse du contenu du projet de loi 39 à l’égard de ces enjeux. (La fiche peut aussi être téléchargée ici.)

Elle fait partie des cinq fiches "Qui a peur de réinventer les élections?" préparées pour répondre rapidement aux peurs et allégations mensongères les plus courantes… Elles présentent également les grandes lignes de l'analyse du projet de loi no 39 « Loi établissant un nouveau mode de scrutin », déposé le 25 septembre 2019 par le gouvernement de la Coalition avenir Québec, en lien avec le thème de la fiche. (Voir ci-bas pour un aperçu du projet de loi 39.)

La fiche #1  « Le prix du statu quo est trop cher. Qui a peur de réinventer les élections? » vise à répondre aux énormités les plus flagrantes lorsque le statu quo est présenté, à tort, comme étant préférable au changement de mode de scrutin. Elle contient également une analyse du contenu du projet de loi 39 à l’égard de ces enjeux. (La fiche peut aussi être téléchargée ici.)

Elle fait partie des cinq fiches "Qui a peur de réinventer les élections?" préparées pour répondre rapidement aux peurs et allégations mensongères les plus courantes… Elles présentent également les grandes lignes de l'analyse du projet de loi no 39 « Loi établissant un nouveau mode de scrutin », déposé le 25 septembre 2019 par le gouvernement de la Coalition avenir Québec, en lien avec le thème de la fiche.

La consultation parlementaire n’est pas encore annoncée, mais d’ici là il importe aussi de rectifier les faussetés qui circulent. La fiche qui suit pourrait vous aider à  évaluer la valeur du projet de loi 39 et à identifier comment combler ses nombreuses déficiences. Durant la consultation nous devrons être nombreuses et nombreux à y exprimer nos réelles aspirations, sans les atténuer par réalisme politique, car c’est ainsi que nous contribuerons à hausser la barre. [*]

Fiche #1: Le prix du statu quo est trop cher

A- On entend dire que le statu quo est préférable, que le mode de scrutin actuel conviendrait à nos besoins, etc. Qu’en est-il?

 

Depuis 1867 nous avons eu 42 élections pour l’observer et voir la récurrence des problèmes que cause le mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour. Or, à partir du moment où l’on voit un problème, ne pas le corriger, correspond à le cautionner.

Comme société, il est normal de vouloir que le système électoral soit mis à jour pour correspondre aux besoins d’aujourd’hui et planifier l’avenir. Les défauts du mode de scrutin majoritaire sont non seulement documentés internationalement, mais ils font partie de sa nature :  «Il exclut les partis minoritaires de la représentation […] exclut les minorités de toute représentation «équitable» […] exclut les femmes du parlement […] favorise la création de partis fondés sur un clan, une ethnie ou un régionalisme […] amplifie le phénomène des «fiefs électoraux», sortes de domaines traditionnellement réservés de certains partis […] «gaspille» de nombreux votes qui ne contribuent à l’élection d’aucun candidat […] n’est pas sensible aux changements de l’opinion publique […] ouvre la porte aux manipulations du découpage. [1]». Ce n’est donc pas par caprice que nous voulons le remplacer par un système de type proportionnel, comme d’autres l’ont fait avant nous.

À travers le monde[2], 113 pays utilisent un mode de scrutin de type proportionnel, 41 en Europe, 29 en Afrique, 20 en Asie, 20 dans les Amériques, 3 en Océanie. La variante proportionnelle mixte compensatoire est utilisée dans 7 pays (Allemagne, Bolivie, Bulgarie, Guatemala, Hongrie, Lesotho et Nouvelle-Zélande)[3]. L’autre famille de mode de scrutin, ceux de type majoritaire, compte 74 pays, dont 23 en Afrique, 22 en Asie, 15 dans les Amériques, 11 en Océanie et 3 en Europe. La variante uninominale à un tour est appliquée dans 41 pays.

Dans leur campagne de peur, les tenants du statu quo ne semblent pas réaliser que leurs affirmations équivalent à dire que ces 113 pays sont des dictatures. Cela signifierait que les assemblées de ces pays n’auraient jamais gouverné ni été formées de personnes dûment élues, et qu’aucun gouvernement n’aurait été remplacé.

Lors de l’élection d’octobre 2018, l’indice de distorsion du vote de tout le Québec s’est situé à 18, soit dans la moyenne depuis 1867. Cet indice est une mesure neutre du respect global de la volonté populaire d’une élection (indice élevé signifie de grandes distorsions). En comparaison, la dernière élection néo-zélandaise, sous un scrutin proportionnel mixte compensatoire, a eu un indice de distorsion de 3.

Le parti qui arrive premier en nombre de votes peut ne pas former le gouvernement : depuis 1867 la population québécoise a vécu 9 de ces renversements de la volonté populaire, 5 fois en regard de l’Assemblée nationale et 4 fois pour la Chambre des communes. Ne serait-ce que lors des 5 dernières élections québécoises, les populations de 10 régions ont vécu le même phénomène jusqu’à 3 occasions supplémentaires.

Les votes ne sont pas traités équitablement. Plus de la moitié des votes sont perdus à chaque élection, du Québec comme du Canada : en 2018, 54% des votes n’ont pas été considérés dans le résultat total québécois, allant même jusqu’à 60% dans 10 régions. En comparaison, seulement 6% des votes n’ont pas compté lors de l’élection néo-zélandaise de 2017. En 1989, 10% des votes (333 741) ont procuré 63 sièges de plus au PLQ qu’au PQ. En 2018, 13% des votes (508 418) ont procuré 43 sièges de plus à la CAQ qu’au PLQ. Depuis 1970, le PLQ a été surreprésenté dans les 8 élections qu’il a remportées, jusqu’à 38 points d’écart entre les votes obtenus et les sièges occupés, pour une moyenne de +19%. La situation est très similaire pour les 5 élections remportées par le PQ, pour une moyenne de +17%. Quant à la CAQ, elle a été surreprésentée de 22 points en 2018. La présence de 4 partis à l’Assemblée nationale est d’ailleurs encore une exception. Depuis 1867, ce nombre n’a été atteint qu’à 12 des 42 élections, dont 6 fois depuis 1970. Lorsqu’ils obtiennent des sièges, les tiers partis sont systématiquement sous-représentés (-10% depuis 1970).

Le prix du statu quo est bien trop élevé pour qu’on se permette de laisser passer une occasion de véritablement réinventer les élections. Un système électoral proportionnel mixte compensatoire bien conçu permettra de corriger les problèmes qui affligent la démocratie québécoise, afin que toutes les personnes et tous les votes comptent.

B – Analyse du projet de loi 39 : alors qu’il a l’occasion de proposer une véritable avancée démocratique, le gouvernement propose un mode de scrutin contenant plusieurs déficiences.

 

Le projet de loi no 39 « Loi établissant un nouveau mode de scrutin » a été déposé le 25 septembre 2019. Il propose un mode de scrutin mixte, mais dont l’effet compensatoire, soit la correction des distorsions, n’est pas optimal. Il n’agit pas non plus véritablement pour diversifier la représentation. (Voir en annexe : Aperçu général du projet de loi no 39.)

Le projet de loi 39, propose un mode de scrutin mixte, mais dont l’effet compensatoire, soit la correction des distorsions, n’est pas optimal. Il n’agit pas non plus véritablement pour diversifier la représentation.

Les éléments techniques choisis nuisent à la proportionnalité du résultat, particulièrement en regard de l’équité du vote et du respect du pluralisme politique. Les principales raisons de cette limitation proviennent de l’usage d’un trop grand nombre de territoires et que la majorité de ceux-ci ont une basse densité démographique.

Bien que la population s’identifie aux régions administratives et qu’il soit logique de vouloir qu’une circonscription s’y insère complètement (7 circonscriptions sont actuellement à cheval sur deux régions administratives), leur utilisation dans un cadre électoral entraîne des problèmes importants. Étant de densité démographique très variables, les régions administratives ne permettent pas une répartition équitable des sièges, ni un respect égal des votes, mais aussi l’accès à une représentation diversifiée.

Selon les projections, la population de la majorité des régions n’obtiendrait pas le respect de son vote. En effet, dans 11 régions sur 17, le nombre total de sièges varierait entre 1 et 6 sièges, incluant entre 1 et 4 sièges de circonscriptions et entre 0 et 2 sièges régionaux. Ces derniers ne suffiront évidemment pas pour corriger les distorsions qui continueront d’affecter les résultats de la portion majoritaire du système, en plus de produire des listes de candidatures trop courtes pour être efficaces, par exemple, pour appliquer l’alternance entre les candidates et les candidats.

Les 6 régions moins désavantagées n’obtiendront pas une très grande proportionnalité pour autant. Le nombre de sièges régionaux y variant entre 3 (Chaudière-Appalaches, Lanaudière et Laurentides), 4 (Capitale-Nationale) ou 8 (Montérégie et Montréal). À ces sièges s’ajouteront entre 4 et 16 sièges de circonscriptions pour un total par région variant entre 7 et 24 sièges. Il sera donc bien difficile de faire en sorte que les candidatures des personnes racisées ou nées à l’étranger se retrouvent dans le haut des listes, pour avoir des chances se remporter un siège de compensation.

L’obligation pour un parti d’obtenir au moins 10% des votes pour se qualifier à la compensation, combiné à la manière de corriger les distorsions découlant des résultats des circonscriptions, fait en sorte de favoriser les partis établis et de limiter le pluralisme politique. Le projet de loi propose en effet une méthode de calcul qui favorise les partis ayant déjà remporté des sièges de circonscription, soit en leur accordant davantage de sièges régionaux.

Ce grand nombre de régions électorales, et le fait que la population soit très variable d’une région administrative à l’autre produirait une proportionnalité variable selon le lieu de résidence; les populations des régions peu populeuses ne seraient pas traitées équitablement, puisque leurs votes seraient moins respectés que celles habitant dans les grands centres.

Une autre iniquité importante résulte de l’imposition d’un seuil trop élevé et d’une méthode de compensation compliquée qui nuisent au pluralisme politique.

L’article 156 du PL39 modifie la Loi électorale pour :
·          Préciser la méthode de calcul pour attribuer les sièges régionaux (similaire à la méthode d’Hondt, réputée favoriser les partis établis). Cette méthode ne produit pas une pleine compensation, car la correction est basée sur la moitié des sièges de circonscriptions remportés par un parti, ce qui défavorise les partis n’ayant pas remporté de circonscriptions.
·          Préciser le seuil légal qu’un parti doit atteindre pour se qualifier à la distribution des sièges régionaux, soit au moins 10% des votes pour l’ensemble des régions (total des bulletins régionaux).

L’obligation pour un parti d’obtenir au moins 10% des votes pour se qualifier à la compensation, combiné à la manière de corriger les distorsions découlant des résultats des circonscriptions, fait en sorte de favoriser les partis établis et de limiter le pluralisme politique. Le projet de loi propose en effet une méthode de calcul qui favorise les partis ayant déjà remporté des sièges de circonscription, soit en leur accordant davantage de sièges régionaux.

Le terme « compensation » signifie corriger les distorsions lorsqu’un parti obtient moins de sièges que le nombre qu’il aurait dû recevoir en fonction du % des votes. Pour corriger, il faut donc comparer le % de siège de circonscriptions au % de vote obtenu par le 2e bulletin.

Dans le projet de loi 39 le gouvernement propose d’une part d’utiliser les résultats régionaux de ce 2e vote pour procéder à la compensation, plutôt que d’utiliser le total produit par les votes de tout le Québec. Ce faisant, le système entraînera encore de nombreux votes perdus dans chacune des régions, puisque chacune d’elle représentera un vase clos; les votes insuffisants pour obtenir un siège dans une région seront tout simplement perdus, alors qu’ils auraient autrement été considérés.

Ensuite, dans tout mode de scrutin proportionnel il faut établir une manière de transposer des pourcentages en nombre entier de sièges, en déterminant la méthode de calcul. On ne peut simplement arrondir les chiffres lorsque le nombre de sièges à distribuer est fixé d’avance, soit 40 dans le cas du projet de loi. Certaines méthodes sont équitables pour tous les partis – petits et grands - et d’autres non. Or, le gouvernement propose une méthode de calcul qui favorise les grands partis en plus de favoriser ceux qui ont remporté des sièges de circonscriptions. En plus d’être compliquée à visualiser en raison des nombreuses étapes qu’elle contient, la méthode fait en sorte d’exclure du calcul la moitié des sièges de circonscriptions obtenus par un parti. La conséquence est de réduire l’apparente surreprésentation d’un parti et lui donner droit à une compensation avant de corriger la sous-représentation de parti qui n’a pas obtenu de siège de circonscription.

Qualifiée de « prime au vainqueur », cette méthode accorde donc un avantage aux partis ayant déjà obtenu des sièges de circonscriptions.

Mercédez Roberge, autrice de Des élections à réinventer, 2019, Montréal, Éditions Somme toute. www.MercedezRoberge.ca

 

[1]Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale, La Conception des Systèmes Électoraux, un manuel de International IDEA, Stockholm, 1997, p. 28-31.
[2] Pour les premières chambres de 187 pays.
[3] Elle est utilisée également dans d’autres niveaux de gouvernement, comme en Écosse.

[*] Les données apparaissant dans ce texte sont issues du livre de Mercédez Roberge, « Des élections à réinventer », paru en septembre 2019 aux Éditions Somme Toute. D’autres informations sont disponibles sur www.MercedezRoberge.ca

Pour consulter la Loi électorale telle qu’elle apparaîtrait si les modifications du Projet de loi 39 étaient adoptées, ainsi que d’autres outils d’analyse, voir le site Web de l’autrice :  www.mercedezroberge.ca/analyse-du-projet-de-loi-39

Aperçu général du projet de loi no 39 – complément aux 5 fiches « Qui a peur de réinventer les élections »

De côté

Le projet de loi 39 en bref:
·         Un total de 125 sièges : 80 sièges de circonscriptions et 45 sièges régionaux de compensation, tous répartis dans 17 régions électorales calquées sur les territoires actuels des régions administratives.
·         En raison des grandes variantes de densité démographique entre les régions administratives, le nombre total de sièges par région varieraient entre 1 et 6 sièges, dans le cas de 11 régions, et entre 7 et 24, dans le cas des 6 autres régions.
·         Au niveau national, le ratio de compensation n’atteint pas la norme de 60/40 : les sièges de circonscriptions représentant 64% du total versus 36% pour les sièges régionaux. Mais ce ratio ne sera même pas atteint dans les 7 régions il sera de 67/33. De plus, la région du Nord-du-Québec est exclue du mécanisme de compensation, puisqu’elle n’aura qu’un siège de circonscription et pas de siège régional.
·         2 bulletins de vote distincts : un pour le siège de circonscription (choisir une personne selon le mode majoritaire) et un pour les sièges régionaux (choisir un parti avec sa liste régionale de candidatures). Les deux bulletins permettront aussi de choisir une candidature indépendante.
·         Attribution des sièges régionaux par des listes régionales fermées présentant entre 1 et 8 personnes*
·         Compensation régionale, soit en fonction du pourcentage de vote que chaque parti aura obtenu dans la région, mais selon une méthode qui favorisera les partis ayant déjà obtenu des sièges de circonscriptions.
·         Interdiction de poser sa candidature pour un siège de circonscription et de figurer sur la liste régionale.
·         Seuil légal pour qu’un parti se qualifie à la compensation d’au moins 10% de vote à l’échelle du Québec, en plus de seuils effectifs plus élevés dans les régions disposant de peu de sièges régionaux.
·         Aucune règle obligeant les partis à atteindre une représentation paritaire des femmes et des hommes, ni une représentation équitable des personnes racisées ou nées à l’étranger.
·         La seule exigence pour un parti est d’annoncer (en début de campagne) l’objectif qu’il se fixe en matière de candidates et de faire rapport (avant les élections) de l’atteinte ou non de son objectif, sans qu’aucun chiffre ne soit imposé. La facilité à répondre à cette exigence rend symbolique la sévérité de la conséquence en cas de manquement (un parti pourrait perdre son autorisation).
·         Un comité sera formé pour évaluer et formuler des recommandations à l’Assemblée nationale suite aux trois premières élections sous le nouveau mode de scrutin. Ce comité pourra intégrer à son analyse la question de la parité.
·         L’application du nouveau mode de scrutin à condition que le oui l’emporte à 50% + 1 vote lors d’un référendum se tenant en même temps que les élections générales de 2022; outre ces éléments, aucune règle n’est connue quant au déroulement de ce référendum, puisque le projet de loi stipule que la Loi sur la consultation populaire ne s’y appliquerait pas.

* Selon les projections.

Le projet de loi 39 « Loi établissant un nouveau mode de scrutin » a été déposé le 25 septembre 2019. Il propose un mode de scrutin mixte, mais dont l’effet compensatoire, soit la correction des distorsions, n’est pas optimal. (Voir la fiche #1 pour plus de détails.) Il n’agit pas non plus véritablement pour diversifier la représentation. Continuer la lecture Aperçu général du projet de loi no 39 – complément aux 5 fiches « Qui a peur de réinventer les élections »