Aperçu général du projet de loi no 39 – complément aux 5 fiches « Qui a peur de réinventer les élections »

Le projet de loi 39 en bref:
·         Un total de 125 sièges : 80 sièges de circonscriptions et 45 sièges régionaux de compensation, tous répartis dans 17 régions électorales calquées sur les territoires actuels des régions administratives.
·         En raison des grandes variantes de densité démographique entre les régions administratives, le nombre total de sièges par région varieraient entre 1 et 6 sièges, dans le cas de 11 régions, et entre 7 et 24, dans le cas des 6 autres régions.
·         Au niveau national, le ratio de compensation n’atteint pas la norme de 60/40 : les sièges de circonscriptions représentant 64% du total versus 36% pour les sièges régionaux. Mais ce ratio ne sera même pas atteint dans les 7 régions il sera de 67/33. De plus, la région du Nord-du-Québec est exclue du mécanisme de compensation, puisqu’elle n’aura qu’un siège de circonscription et pas de siège régional.
·         2 bulletins de vote distincts : un pour le siège de circonscription (choisir une personne selon le mode majoritaire) et un pour les sièges régionaux (choisir un parti avec sa liste régionale de candidatures). Les deux bulletins permettront aussi de choisir une candidature indépendante.
·         Attribution des sièges régionaux par des listes régionales fermées présentant entre 1 et 8 personnes*
·         Compensation régionale, soit en fonction du pourcentage de vote que chaque parti aura obtenu dans la région, mais selon une méthode qui favorisera les partis ayant déjà obtenu des sièges de circonscriptions.
·         Interdiction de poser sa candidature pour un siège de circonscription et de figurer sur la liste régionale.
·         Seuil légal pour qu’un parti se qualifie à la compensation d’au moins 10% de vote à l’échelle du Québec, en plus de seuils effectifs plus élevés dans les régions disposant de peu de sièges régionaux.
·         Aucune règle obligeant les partis à atteindre une représentation paritaire des femmes et des hommes, ni une représentation équitable des personnes racisées ou nées à l’étranger.
·         La seule exigence pour un parti est d’annoncer (en début de campagne) l’objectif qu’il se fixe en matière de candidates et de faire rapport (avant les élections) de l’atteinte ou non de son objectif, sans qu’aucun chiffre ne soit imposé. La facilité à répondre à cette exigence rend symbolique la sévérité de la conséquence en cas de manquement (un parti pourrait perdre son autorisation).
·         Un comité sera formé pour évaluer et formuler des recommandations à l’Assemblée nationale suite aux trois premières élections sous le nouveau mode de scrutin. Ce comité pourra intégrer à son analyse la question de la parité.
·         L’application du nouveau mode de scrutin à condition que le oui l’emporte à 50% + 1 vote lors d’un référendum se tenant en même temps que les élections générales de 2022; outre ces éléments, aucune règle n’est connue quant au déroulement de ce référendum, puisque le projet de loi stipule que la Loi sur la consultation populaire ne s’y appliquerait pas.

* Selon les projections.

Le projet de loi 39 « Loi établissant un nouveau mode de scrutin » a été déposé le 25 septembre 2019. Il propose un mode de scrutin mixte, mais dont l’effet compensatoire, soit la correction des distorsions, n’est pas optimal. (Voir la fiche #1 pour plus de détails.) Il n’agit pas non plus véritablement pour diversifier la représentation.

Les éléments techniques choisis nuisent à la proportionnalité du résultat, particulièrement en regard de l’équité du vote et du respect du pluralisme politique. Les principales raisons de cette limitation proviennent de l’usage d’un trop grand nombre de territoires et que la majorité de ceux-ci ont une basse densité démographique. (Voir la fiche #2 pour plus de détails.)

Bien que la population s’identifie aux régions administratives et qu’il soit logique de vouloir qu’une circonscription s’y insère complètement (7 circonscriptions sont actuellement à cheval sur deux régions administratives), leur utilisation dans un cadre électoral entraîne des problèmes importants. Étant de densité démographique très variables, les régions administratives ne permettent pas une répartition équitable des sièges, ni un respect égal des votes.

Selon les projections, la population de la majorité des régions n’obtiendrait pas le respect de son vote. En effet, dans 11 régions sur 17, le nombre total de sièges varierait entre 1 et 6 sièges, incluant entre 1 et 4 sièges de circonscriptions et entre 0 et 2 sièges régionaux. Ces derniers ne suffiront évidemment pas pour corriger les distorsions qui continueront d’affecter les résultats de la portion majoritaire du système.

Les 6 régions moins désavantagées n’obtiendront pas une très grande proportionnalité pour autant. Le nombre de sièges régionaux y variant entre 3 (Chaudière-Appalaches, Lanaudière et Laurentides), 4 (Capitale-Nationale) ou 8 (Montérégie et Montréal). À ces sièges s’ajouteront entre 4 et 16 sièges de circonscriptions pour un total par région variant entre 7 et 24 sièges.

L’obligation pour un parti d’obtenir au moins 10% des votes pour se qualifier à la compensation, combiné à la manière de corriger les distorsions découlant des résultats des circonscriptions, fait en sorte de favoriser les partis établis et de limiter le pluralisme politique. Le projet de loi propose en effet une méthode de calcul qui favorise les partis ayant déjà remporté des sièges de circonscription, soit en leur accordant davantage de sièges régionaux. (Voir la fiche #3 pour plus de détails.)

Quant à la double-candidature, en l’interdisant le gouvernement perpétue une vision négative des sièges régionaux. À l’opposé, rendre possible le choix de faire campagne à la fois pour un siège de circonscription que pour un siège régional permet à la population de connaître toutes les candidates et tous les candidats, favorise le contact et le lien d’imputabilité. Permettre la double-candidature aurait permis de contrer la fausse perception que les sièges « de liste » ne seraient pas légitimement élus et qu’ils seraient davantage liés aux partis qu’à la population. Pourtant, ce lien avec un parti existe lorsque des personnes élues pour représenter une circonscription se présentent au nom d’un parti politique. Le fait que la proportion de sièges de circonscriptions versus les sièges régionaux de compensation ajoute une autre difficulté

Ce grand nombre de régions électorales, et le fait que la population soit très variable d’une région administrative à l’autre produirait une proportionnalité variable selon le lieu de résidence; les populations des régions peu populeuses ne seraient pas traitées équitablement, puisque leurs votes seraient moins respectés que celles habitant dans les grands centres.

Quant à permettre que toutes les personnes comptent, le projet de loi est très décevant. Il ne contient aucune règle obligeant les partis à atteindre une représentation paritaire des femmes et des hommes, ni une représentation équitable des personnes racisées ou nées à l’étranger. (Voir la fiche #4 pour plus de détails.) La seule exigence pour un parti est d’annoncer (en début de campagne) l’objectif qu’il se fixe en matière de candidates et de faire rapport (avant les élections) de l’atteinte ou non de son objectif.

Le projet de loi ne fixant aucun chiffre à atteindre, il sera facile pour un parti de se fixer un objectif qu’il sera sûr d’atteindre tellement il sera modeste. Si la conséquence semble sévère en cas de manquement, soit la possibilité qu’un parti perde son autorisation, il serait donc bien étonnant qu’un parti la subisse puisqu’elle ne porte que sur la transmission du rapport, sans lien avec son contenu. Le projet de loi rate également des occasions de combiner des mécanismes facilitant l’atteinte de la parité et de la diversification de la classe politique, En effet, il propose l’usage de listes fermées, mais sans y inclure de règle d’alternance entre les candidates et les candidats; il rate aussi une occasion de lier le financement public aux valeurs de la société en le rendant cohérent avec les résultats au plan des candidatures et des personnes élues; de plus il ne prend pas en compte que les conditions socio-économiques étant statistiquement plus difficiles pour les femmes et pour les personnes racisées ou nées à l’étranger, la décision de se lancer en politique se fait dans un contexte bien différent de celui d’hommes blancs disposant de réseaux de soutien appropriés.

Le gouvernement renie son engagement en exigeant qu’un référendum se tienne en même temps que les prochaines élections générales, en octobre 2022, afin d’entériner la loi après son adoption par l’Assemblée nationale. Or, cela signifierait s’engager dans un référendum sans savoir ce que contiendra la loi qui devra être créée pour encadrer le référendum. (Voir la fiche #5 pour les détails.)

Exiger un référendum pour changer le système électoral est une fausse bonne idée, et ça l’est encore plus si ce référendum a lieu pendant une campagne électorale ou avant d’avoir utilisé le nouveau système.

En préparation de la consultation

Durant la consultation il faudra rejeter le recours au référendum, réclamer la correction des déficiences techniques du projet de loi et insister pour que les élections de 2022 soient l’occasion d’une première utilisation d’un système électoral proportionnel mixte compensatoire pleinement efficace pour que toutes les personnes et que tous les votes comptent.

 

Mercédez Roberge, autrice de Des élections à réinventer, 2019, Montréal, Éditions Somme toute. www.MercedezRoberge.ca

 

Pour consulter la Loi électorale telle qu’elle apparaîtrait si les modifications du Projet de loi 39 étaient adoptées, ainsi que d’autres outils d’analyse, voir www.mercedezroberge.ca/analyse-du-projet-de-loi-39..