La fiche #5 "La loi électorale est une loi comme les autres. Qui a peur de réinventer les élections?" vise à dégonfler les faussetés qui circulent sur la manière d'adopter un nouveau mode de scrutin, tout en présentant une analyse du contenu du projet de loi 39 à l'égard de la tenue d'un référendum lors des élections de 2022. (La fiche peut aussi être téléchargée ici.)
Elle fait partie des cinq fiches "Qui a peur de réinventer les élections?" préparées pour répondre rapidement aux peurs et allégations mensongères les plus courantes… Elles présentent également les grandes lignes de l'analyse du projet de loi no 39 « Loi établissant un nouveau mode de scrutin », déposé le 25 septembre 2019 par le gouvernement de la Coalition avenir Québec, en lien avec le thème de la fiche. (Voir ci-bas l'aperçu du projet de loi 39.)
La consultation parlementaire n’est pas encore annoncée, mais d’ici là il importe aussi de rectifier les faussetés qui circulent. La fiche qui suit pourrait vous aider à évaluer la valeur du projet de loi 39 et à identifier comment combler ses nombreuses déficiences. Durant la consultation nous devrons être nombreuses et nombreux à y exprimer nos réelles aspirations, sans les atténuer par réalisme politique, car c’est ainsi que nous contribuerons à hausser la barre. [*]
Fiche #5 : La loi électorale est une loi comme les autres.
A- On entend dire qu’il faut un référendum pour changer de mode de scrutin. Qu’en est-il?
Dans certaines circonstances, tenir un référendum n’est pas le geste démocratique qu’on tente de présenter. D’une part, rien ne justifie que la loi électorale soit modifiée par un processus différent des autres lois, que ce soit par un référendum ou en exigeant davantage que la majorité habituelle lors d’un vote à l’Assemblée nationale. Il est d’ailleurs très paradoxal d’entendre des tenants du statu quo justifier cette voie en invoquant l’importance de la volonté populaire, alors qu’ils rejettent les systèmes électoraux axés sur le reflet de celle-ci. Quant à la justification à l’effet que les parlementaires seraient juges et parties, selon cette logique des référendums auraient eu lieu à chaque révision de la carte électorale, à chaque changement dans leurs salaires et même à chaque loi pouvant favoriser une circonscription ou des perspectives de réélection.
D’autre part, la Loi sur la consultation populaire québécoise a été adoptée en 1978 dans la perspective de tenir un référendum sur la souveraineté. Utilisée trois fois pour des questions de cette nature, soit les 20 mai 1980 et 30 octobre 1995, de même que pour la participation québécoise au référendum fédéral de 1992, elle n’est pas adaptée à un sujet comme le choix d’un système électoral.
La Loi référendaire ne prévoit pas d’instance chargée de fournir une information neutre, le DGEQ ne devant transmettre qu’un feuillet 2 semaines avant la fin des 5 semaines d’une campagne référendaire. Ces conditions ne posaient pas problème sur un sujet hyper-médiatisé comme l’était la souveraineté du Québec, mais la situation est tout autre quand on parle de système électoral.
Changer le système électoral, c’est bien plus que de choisir le nom d’un modèle. C’est prendre une foule de décisions allant du nombre de circonscriptions, à la méthode d’attribution des sièges, aux procédures pour poser sa candidature, pour recevoir du financement public, jusqu’à la forme du bulletin. Il faut du temps et des conditions favorables pour fournir, à tout l’électorat, l’information nécessaire pour faire un choix éclairé. Alors que le camp du oui doit résumer les enjeux et informer autant sur les conséquences du système actuel que sur le fonctionnement d’un système proposé, le camp adverse n’a qu’à attiser la peur du changement. Si un clip de 30 secondes est suffisant pour faire peur, il ne l’est pas pour informer adéquatement.
Il ne faut d’ailleurs pas présumer que les partis politiques participeraient aux campagnes, et surtout pas avec la même intensité que lors des référendums passés. Sans les infrastructures dont disposent les partis politiques, des camps du oui et du non sont peu outillés pour rejoindre la population de toutes les régions.
Il demeure que tous les sujets n’ont pas à être tranchés par référendum, surtout si la majorité peut alors imposer ses vues sur les droits d'une minorité. Dans le cas du système électoral, c’est ultimement l’accès aux postes de représentation qui est en jeu, le droit de pouvoir exprimer ses idées politiques et celui de les voir équitablement représentées. Les courants qui correspondent à ceux des partis établis sont généralement surreprésentés, tandis que la sous-représentation systématique touche la population dont les opinions politiques sont minorisées, parce que désignant des tiers partis ou des partis n’obtenant pas de siège. Un référendum ne devrait pas avoir lieu sur le sujet puisque la majorité déciderait que ses droits ont préséance sur ceux des autres.
La seule avenue possible pour tenir un référendum serait de le tenir après avoir expérimenté un nouveau système durant 2 ou 3 élections. Cela permettrait de poser une évaluation éclairée des avantages et inconvénients des deux modèles, en ayant vécu une expérience concrète pour les deux cas.
Ce n’est pas un hasard si ce sont souvent les tenants du statu quo qui réclament un référendum, misant sur le fait qu’il est effectivement plus facile de refuser un changement que d’aller vers une nouveauté.
B- Par le projet de loi 39, le gouvernement repousse de 4 ans l’application d’un mode de scrutin proportionnel mixte compensatoire, à condition que le OUI l’emporte à un référendum se tenant en même temps que les élections de 2022. Qu’est-ce que ça implique?
Le projet de loi no 39 « Loi établissant un nouveau mode de scrutin » (déposé le 25 septembre 2019), exige qu’un référendum se tienne en même temps que les prochaines élections générales, en octobre 2022, afin d’entériner la loi après son adoption par l’Assemblée nationale. Il précise que le OUI devra obtenir 50% + 1 vote à la question suivante : « Êtes-vous en accord avec le remplacement du mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour par le mode de scrutin mixte avec compensation régionale prévu par la Loi établissant un nouveau mode de scrutin? ». Le projet de loi stipule aussi que la Loi sur la consultation populaire ne s’appliquera pas.
Concrètement, cela signifie qu’une fois adopté, le projet de loi serait mis en attente, jusqu’au référendum et qu’il se tiendrait à l’automne 2022 une campagne électorale simultanément à une campagne référendaire. Tout comme la Loi électorale, la Loi sur la consultation populaire est administrée par le Directeur général des élections du Québec. Les deux lois ont beaucoup de règles en commun, mais ne sont pas conçues pour s’appliquer simultanément. Cela pose plusieurs problèmes, qui dépassent les possibles économies parfois invoquées.
C- Cette exigence du projet de loi doit être combattue pour plusieurs raisons :
Premièrement, en exigeant un référendum le gouvernement renie l’engagement qu’il a signé en 2018, soit que les prochaines élections se tiennent sous un mode de scrutin proportionnel mixte compensatoire, mais il sabote aussi le calendrier qui aurait pu permettre au DGEQ de se préparer pour les élections de 2022.
La situation québécoise ne se compare pas à celle des provinces qui ont tenu un référendum sur la question. D’ailleurs cette voie n’est plus priorisée par les mouvements réformistes à travers le Canada. Depuis 1970, 7 consultations parlementaires ou para-gouvernementales ont permis à la population québécoise d'affirmer son désir de changement. De tous ces processus, il est ressorti 6 rapports officiels, en incluant celui de 2008 du DGEQ, tous concluant à la nécessité de remplacement du mode actuel. Les provinces qui ont tenu des référendums n’avaient pas emprunté ce parcours ni ne disposaient d’un historique aussi long.
Deuxièmement, soumettre au référendum le projet de loi 39, après adoption, signifie faire abstraction de deux processus parlementaires sur le même sujet : celui qui analysera le projet de loi caquiste et celui mené en 2005-2006 et où des corrections avaient été consensuellement réclamées à l’avant-projet de loi libéral déposé en 2004. Une large consultation avait eu lieu à travers le Québec permettant de recevoir 515 interventions, dont 369 mémoires, en 18 jours d’auditions. La démocratie n’est pas en santé lorsque la participation de la population et le travail parlementaire sont à ce point dénigrés. De plus, quelle sera la prochaine loi qui subira le même sort?
Troisièmement, en exigeant que le référendum ait lieu aux élections de 2022, tout en stipulant que la Loi sur la consultation populaire ne s’appliquerait pas, cela signifie qu’une nouvelle Loi devra être préparée spécifiquement pour ce référendum. Si le projet de loi annonce la question et le pourcentage requis, il laisse dans l’ombre un grand nombre de questions, tant sur la campagne électorale que sur les conséquences de tenir simultanément une campagne référendaire. Or, le contenu de la loi référendaire ne sera pas connu lors de l’adoption du projet de loi 39, même la durée de la campagne. Un tel fonctionnement signifie signer un chèque en blanc sur une foule de considérations cruciales, ce qui est très loin d’une pratique démocratique.
Des conditions s’ajouteront-elles quant au nombre de circonscriptions devant atteindre la majorité requise, ou au taux de participation? Y’aura-t-il du financement public, et si oui combien? Comment s’appliqueront les règles d’une campagne électorale, notamment quant à la surveillance des dépenses? Par exemple, en campagne électorale les seules personnes pouvant effectuer des dépenses pouvant favoriser ou défavoriser un parti ou un autre sont les agents officiels des partis et, dans une moindre mesure, celles inscrites comme « intervenant particulier » (dépenses limitées à 500$). Or, communiquer sur la question référendaire ne pourra se faire sans référer au gouvernement ayant déposé le projet de loi ou aux positions des partis politiques, ce qui équivaudra inévitablement à favoriser ou défavoriser l’un ou l’autre. Selon les règles actuelles, seules les actions n’engendrant aucun coût seraient permises.
D’ailleurs, rien ne dit que le DGEQ estimera que toutes les étapes peuvent être réalisées à temps pour tenir deux campagnes en 2022, l’électorale et la référendaire. En effet, le DGEQ aura besoin de plusieurs mois pour rédiger la loi référendaire spécifique auxquels il faudra plusieurs mois supplémentaires pour le processus législatif, du dépôt du projet de loi, aux auditions et étude en commission parlementaire[1]. Ces travaux vont également demander une énergie considérable aux futurs camps du oui et du non. Pour des mouvements comme le MDN, cela signifie déployer un maximum d’énergie – sans interruption – entre maintenant et octobre 2022, pour intervenir non seulement sur les aspects techniques du projet de loi 39, mais aussi sur la question du référendum.
Quatrièmement, les enjeux d’une campagne électorale et référendaire sont très différents : choisir ses représentantes et représentants pour un mandat versus choisir un système électoral pour longtemps. Il est bien illusoire de penser concurrencer l’attention médiatique accordée à une campagne électorale et capter suffisamment l’attention de la population pour que le vote au référendum soit éclairé. De plus, les campagnes électorales drainent un nombre considérable de militantes et de militants intéressés aussi par la réforme du système électoral. Il est facile d’imaginer qu’un choix sera fait entre aider son parti à gagner des sièges et mobiliser pour le référendum. Choisir un système électoral est déjà une question suffisamment importante pour ne pas la noyer dans des considérations supplémentaires, d’autant plus que le statu quo est par nature avantagé face à un système que l’on n’a pas expérimenté.
S’il était déjà problématique d’envisager un référendum sans savoir comment la Loi sur la consultation populaire serait adaptée au contexte, ça l’est encore plus de tenir le référendum sans savoir ce que contiendra la loi qui devra être créée pour l’encadrer.
Les chances de remporter le référendum ne sont pas égales, que celui-ci ait lieu aux élections de 2022 ou qu’il soit devancé. Les problèmes soulevés précédemment sont les même quel que soit la date d’un référendum sur le mode de scrutin.
Exiger un référendum pour changer le système électoral est une fausse bonne idée, et ça l’est encore plus si ce référendum a lieu pendant une campagne électorale. Durant la consultation il faudra rejeter le recours au référendum, réclamer la correction des déficiences techniques du projet de loi et insister pour que les élections de 2022 soient l’occasion d’une première utilisation d’un système électoral proportionnel mixte compensatoire pleinement efficace.
Mercédez Roberge, autrice de Des élections à réinventer, 2019, Montréal, Éditions Somme toute. www.MercedezRoberge.ca
[1] L’adoption, en juin 1978, de la Loi sur la consultation populaire a été précédée du dépôt d’un livre blanc en août 1977, sous un gouvernement du Parti Québécois, après que ce parti l’ait inscrit à son programme, en 1974. Les premiers travaux avaient eu lien sous le gouvernement de l’Union nationale, entre 1966 et 1969, mais sans aboutir.
[*] Les données apparaissant dans ce texte sont issues du livre de Mercédez Roberge, « Des élections à réinventer », paru en septembre 2019 aux Éditions Somme Toute. D’autres informations sont disponibles sur www.MercedezRoberge.ca
Pour consulter la Loi électorale telle qu’elle apparaîtrait si les modifications du Projet de loi 39 étaient adoptées, ainsi que d’autres outils d’analyse, voir le site Web de l’autrice : www.mercedezroberge.ca/analyse-du-projet-de-loi-39
Aperçu général du projet de loi no 39 – complément aux 5 fiches « Qui a peur de réinventer les élections »
De côté
Le projet de loi 39 en bref: · Un total de 125 sièges : 80 sièges de circonscriptions et 45 sièges régionaux de compensation, tous répartis dans 17 régions électorales calquées sur les territoires actuels des régions administratives. · En raison des grandes variantes de densité démographique entre les régions administratives, le nombre total de sièges par région varieraient entre 1 et 6 sièges, dans le cas de 11 régions, et entre 7 et 24, dans le cas des 6 autres régions. · Au niveau national, le ratio de compensation n’atteint pas la norme de 60/40 : les sièges de circonscriptions représentant 64% du total versus 36% pour les sièges régionaux. Mais ce ratio ne sera même pas atteint dans les 7 régions il sera de 67/33. De plus, la région du Nord-du-Québec est exclue du mécanisme de compensation, puisqu’elle n’aura qu’un siège de circonscription et pas de siège régional. · 2 bulletins de vote distincts : un pour le siège de circonscription (choisir une personne selon le mode majoritaire) et un pour les sièges régionaux (choisir un parti avec sa liste régionale de candidatures). Les deux bulletins permettront aussi de choisir une candidature indépendante. · Attribution des sièges régionaux par des listes régionales fermées présentant entre 1 et 8 personnes* · Compensation régionale, soit en fonction du pourcentage de vote que chaque parti aura obtenu dans la région, mais selon une méthode qui favorisera les partis ayant déjà obtenu des sièges de circonscriptions. · Interdiction de poser sa candidature pour un siège de circonscription et de figurer sur la liste régionale. · Seuil légal pour qu’un parti se qualifie à la compensation d’au moins 10% de vote à l’échelle du Québec, en plus de seuils effectifs plus élevés dans les régions disposant de peu de sièges régionaux. · Aucune règle obligeant les partis à atteindre une représentation paritaire des femmes et des hommes, ni une représentation équitable des personnes racisées ou nées à l’étranger. · La seule exigence pour un parti est d’annoncer (en début de campagne) l’objectif qu’il se fixe en matière de candidates et de faire rapport (avant les élections) de l’atteinte ou non de son objectif, sans qu’aucun chiffre ne soit imposé. La facilité à répondre à cette exigence rend symbolique la sévérité de la conséquence en cas de manquement (un parti pourrait perdre son autorisation). · Un comité sera formé pour évaluer et formuler des recommandations à l’Assemblée nationale suite aux trois premières élections sous le nouveau mode de scrutin. Ce comité pourra intégrer à son analyse la question de la parité. · L’application du nouveau mode de scrutin à condition que le oui l’emporte à 50% + 1 vote lors d’un référendum se tenant en même temps que les élections générales de 2022; outre ces éléments, aucune règle n’est connue quant au déroulement de ce référendum, puisque le projet de loi stipule que la Loi sur la consultation populaire ne s’y appliquerait pas. * Selon les projections. |
Le projet de loi 39 « Loi établissant un nouveau mode de scrutin » a été déposé le 25 septembre 2019. Il propose un mode de scrutin mixte, mais dont l’effet compensatoire, soit la correction des distorsions, n’est pas optimal. (Voir la fiche #1 pour plus de détails.) Il n’agit pas non plus véritablement pour diversifier la représentation. Continuer la lecture Aperçu général du projet de loi no 39 – complément aux 5 fiches « Qui a peur de réinventer les élections »→