Lettre du 12 septembre 2019 au caucus de la CAQ

L’année 2022 doit être celle de l’application d’un mode de scrutin proportionnel mixte compensatoire et non celle d’un référendum

Aux députées et députés de la Coalition avenir Québec.

Bonjour. La population n’a pas encore pris connaissance du projet de loi devant proposer un mode de scrutin proportionnel mixte compensatoire, et vous semblez envisager qu’il soit adopté différemment de toute autre loi, soit par un référendum lors des élections de 2022.

Paradoxalement, décider de tenir un référendum pour changer le système électoral n’est pas le geste démocratique qu’on tente de présenter.

Choisir un système électoral est déjà une question suffisamment importante pour ne pas la noyer dans des considérations supplémentaires. Dans le contexte actuel, annoncer qu’un référendum se tiendrait aux prochaines élections signifierait demander à la population de signer un chèque en blanc, ce qui est très loin d’une pratique démocratique.

Le Québec dispose d’une Loi sur la consultation populaire, mais celle-ci n’est pas adaptée à la situation actuelle. S’arrimant à la Loi électorale, la Loi sur la consultation populaire est prévue pour traiter une question approuvée par l’Assemblée nationale, comme ce fut le cas pour les référendums sur la souveraineté, ou pour porter sur un projet de loi adopté par cette dernière, mais non encore sanctionné. Dans ce dernier cas, en plus de son propre objet, le projet de loi doit contenir, lors de son dépôt, l’annonce du référendum, le financement public qui sera remis aux deux comités nationaux (camp du oui et camp du non), et même le libellé de la question référendaire. Conséquemment, cela signifierait que la consultation que mènera la Commission parlementaire et que l’analyse détaillée du projet de loi devrait porter autant sur le modèle proposé que sur les étapes qui mèneront à la sanction finale du projet de loi.

Or, la Loi sur la consultation populaire datant de 2002, elle n’a pas été revue pour tenir compte des derniers changements à la Loi électorale; sa révision se ferait donc en même temps que les discussions sur les mérites du système électoral proposé. Réviser la Loi sur la consultation populaire et les Règlements électoraux associés ne sera pas une formalité. Incidemment, ni la Loi électorale, ni la Loi sur la consultation populaire ne prévoient comment elles s’appliquent si une élection se tient en même temps qu’un référendum.

Par exemple, la Loi sur la consultation populaire fixe le don maximum à 3 000$ annuellement et par camp, soit le montant en vigueur en 2002, alors que la Loi électorale fixe maintenant le don annuel maximum a 100$ par parti.

Quant au calendrier référendaire, l’introduction des élections à date fixe n’empêche pas totalement le déclenchement d’élections anticipées, ce qui peut vouloir dire connaître la date du référendum 33 jours avant sa tenue. De plus, la Loi précise que le DGEQ a jusqu’à 10 jours avant le référendum pour transmettre une brochure expliquant les options. Ce court délai ne posait pas problème pour un sujet comme la souveraineté, mais le contexte actuel est très différent. Non seulement parce que le changement du système électoral nécessite de larges campagnes d’informations, mais aussi parce que la population devrait alors approuver ou rejeter un projet de loi dans son entier, ce qui risque soit de mener vers un faible taux de participation, soit vers le statu quo, par crainte du changement et de ce que l’on a pas encore expérimenté.

Il est prévisible qu’une révision de la Loi sur la consultation populaire ouvre la porte à d’autres questions telles que les conséquences de l’usage des médias sociaux et ramène à la surface les irritants soulevés lors de la dernière élection générale. L’application des règles sur le contrôle des dépenses électorales avait alors été critiquée par des organisations qui ne faisaient qu’exposer des enjeux électoraux, comme étant une limite à la liberté d’expression.

Il faut aussi prendre en compte le précédent que créerait le fait de faire valider par référendum un projet de loi déjà adopté par l’Assemblée nationale, et ce, après avoir suivi toutes les règles prévues. Comment les parlementaires pourront-ils jouer leur rôle de législateur si leurs décisions sont en suspend?

Rappelons également qu’une Commission parlementaire itinérante a eu lieu en 2005 et 2006 sur un avant-projet de loi proposant un mode de scrutin proportionnel mixte compensatoire. Le message alors livré par la population a été de remplacer le mode de scrutin majoritaire uninominal et de corriger les défauts que contenait l’avant-projet de loi. Ainsi, soumettre le futur projet de loi après adoption, et après un 2e processus parlementaire signifie faire abstraction de la consultation menée en 2005 et 2006. La démocratie n’est pas en santé lorsque la participation aux Commissions parlementaires est découragée.

Ces considérations illustrent quelques-uns des problèmes posés par la tenue d’un référendum sur un projet de loi adopté, portant sur le système électoral, et ce, en même temps que les prochaines élections.

Le résultat de la révision de la Loi sur la consultation populaire est très incertain en plus d’ajouter des étapes et des travaux non nécessaires actuellement, étant donné l’engagement pris par votre gouvernement.

Je vous invite à mettre votre énergie pour intéresser la population au système électoral proportionnel mixte compensatoire que vous proposerez très bientôt, plutôt que de déplacer le débat sur son mode d’adoption.

Je vous invite également à donner au Directeur général des élections les moyens nécessaires pour accélérer la cadence et mettre en place le nouveau système électoral à temps pour les élections générales de 2022, plutôt que de lui donner un autre chantier à réaliser.

La population compte sur vous.

Mercédez Roberge
Autrice de Des élections à réinventer, 2019, Montréal, Éditions Somme Toute

Sources : Loi sur la consultation populaire, particulièrement les articles 10, 26 et 40