2- 2016 – 2017: une promesse, une consultation et l’espoir
Un impressionnant processus de consultation s’est déroulé, au niveau fédéral, entre juin et décembre 2016, sous la direction du Comité spécial sur la réforme électorale (CSRE) [1]. La mise sur pied de ce Comité découlait de la promesse faite par Justin Trudeau, durant la campagne électorale de 2015, puis officialisée par le discours du Trône du 4 décembre 2015 : « Pour veiller à ce que chaque vote compte, le gouvernement mènera des consultations sur la réforme électorale, puis fera en sorte que l’élection de 2015 aura été la dernière à être menée selon le système électoral majoritaire à un tour[2]. »
Quelques jours après le dépôt officiel du rapport du CSRE, le gouvernement lançait un 2e processus de consultation, soit le questionnaire MaDémocratie.ca accessible en ligne. Ce processus est distinct du CSRE, ayant été mené par la ministre et non par le Comité. Cependant, puisque le gouvernement connaissait le contenu du rapport lorsqu’il a décidé de réaliser le questionnaire, il est facile de déduire que c’est parce qu’il n’aimait pas les conclusions du premier qu’il a lancé le second.
Le Comité spécial sur la réforme électorale (CSRE) est formé de 12 parlementaires, issus de 5 partis. Leurs travaux ont fait progresser le dossier d’un bond de géant. Malgré un départ tardif, un calendrier défavorable, les enjeux féministes et de la diversité peu prise en compte, la réforme du système électoral fédéral était envisagée au sein même du Parlement.
Participation aux travaux du Comité spécial sur la réforme électorale (CSRE)
Participation au sondage du CSRE | 22 500 |
Lors de 57 rencontres dans 20 villes | |
|
1 000 |
|
574 |
|
567 |
|
196 |
Rapports des assemblées organisées par des députées et députés | |
|
15 000 |
|
15 000 |
|
12 500 |
Total | 67 737 |
En 7 mois, près de 600 mémoires sont déposés et environ 68 000 personnes et organisations se prononcent par différents moyens. Le message est clairement en faveur du changement et le rapport en fait état puisqu’il recommande de remplacer le mode majoritaire par un système produisant un résultat proportionnel[5].. Cette forte participation est d’autant plus impressionnante que le message livré en faveur du changement est non équivoque.
La « Classification des mémoires soumis au comité par sujet », en annexe du rapport du CSRE, est très claire: comparativement au statu quo, le mode de scrutin proportionnel a été favorisé dans 93% des cas, soit dans 311 mémoires. C’est le modèle proportionnel mixte compensatoire qui remporta la palme, étant le plus souvent suggéré, soit dans 145 mémoires, contre 75 suggérant le vote unique transférable, 44 le mode actuel et 37 le vote préférentiel[6].
Classification des sujets des mémoires transmis au CSRE, sur le type de mode de scrutin, selon l’annexe G du rapport (les échantillons varient)
Que le gouvernement ait renié sa promesse depuis, ne fait pas disparaître le message livré par la population, clairement en faveur du changement de mode de scrutin.
Les mêmes tendances ont été observées dans toutes les formes d’expressions ayant été utilisées dans le cadre du CSRE. L’analyse effectuée par Représentation équitable au Canada a fourni plusieurs indicateurs du consensus atteint en faveur du changement. Que ce soit chez les « témoins experts » ou dans les séances de micro-ouvert, 88 % et 87 % se sont exprimés en faveur de la représentation proportionnelle. Quant au bulletin préférentiel, il n’a obtenu que 3 % et 4 % d’appui [7].
Pour ce qui est d’un référendum, 76 % des mémoires ayant abordé la question ont présenté des arguments contre sa tenue. Les témoins experts soulignant de plus qu’il n’était ni nécessaire ni obligatoire d’en tenir un pour changer le mode de scrutin.
La perspective du changement de mode de scrutin fédéral avait mené à la mise sur pied de l’Alliance pour que chaque électeur et électrice compte (Every Voter Counts Alliance) le 15 septembre 2016,. Son objectif est « d’instaurer un mode de scrutin véritablement juste et démocratique, basé sur le principe de proportionnalité, avant les élections fédérales de 2019 ». Elle regroupe une soixantaine d’organisations connues pour leur appui à la réforme du mode de scrutin, tant provincial que national, dont FVC et le MDN. Son communiqué du 24 octobre 2016, rapporte l’état du consensus exprimé devant le Comité spécial sur la réforme électorale : « Une analyse des comptes-rendus des délibérations (de toutes les rencontres sauf quatre, pour lesquelles des informations demeurent incomplètes) démontre que parmi les témoins qui ont exprimé une opinion sur les options électorales, 89 % (ou 90 témoins) appuient un système proportionnel, contrairement au 11 % qui se sont dit opposés. Parmi ces derniers, 7 % veulent le statu quo et 4 % appuient l’ajout du vote préférentiel à notre système majoritaire actuel. D’autre part, 71 % des témoins qui ont exprimé un point de vue sur la question référendaire considèrent qu’un référendum ne serait pas nécessaire ou désirable avant qu’une réforme soit mise en place[8]. »
Le sondage en ligne réalisé par la CSRE fournit également des indications fortes quant aux souhaits de la population, soit que 70,3 % souhaitent que le mode de scrutin actuel soit changé et 71.5 % souhaitent que les sièges soient attribués proportionnellement aux votes reçus dans l’ensemble du pays.
Ces consensus transparaissent les 13 recommandations du rapport déposé par le Comité le 1er décembre 2016 « Renforcer la démocratie au Canada : principes, processus et mobilisation citoyenne en vue d’une réforme électorale [9]». Elles sont non équivoques quant à la nécessité d’élaborer un nouveau système électoral, par leur contenu global, mais aussi par les balises techniques qu’elles fournissent[10] (je souligne).
1 : Le Comité recommande que le gouvernement, aux fins de l’élaboration d’un nouveau système électoral, utilise l’indice de Gallagher pour réduire au minimum la distorsion entre la volonté populaire de l’électorat et la répartition des sièges au Parlement. Le gouvernement devrait chercher à élaborer un système qui atteint un indice de Gallagher de 5 ou moins.
2 : Le Comité recommande que, bien que les modes de scrutin de liste pure peuvent atteindre un indice de Gallagher de 5 ou moins, ils ne doivent pas être pris en considération par le gouvernement, car ceux-ci rompent le lien entre les électeurs et leur député.
Cette façon de guider le choix a été critiquée par la ministre Monsef, reprochant au Comité de ne pas avoir proposé un modèle, alors que son mandat n’était pas si précis. En fixant des critères de qualité à atteindre, le Comité oriente la sélection du prochain mode de scrutin : il doit permettre d’avoir des circonscriptions, atteindre un véritable degré de proportionnalité et favoriser la participation de groupes historiquement sous-représentés, mais surtout, augmenter leur élection.
7 : Le Comité recommande que toute réforme électorale vise à améliorer la possibilité d’augmenter le taux de participation et à renforcer la capacité de se faire élire de membres de groupes historiquement défavorisés et sous-représentés (c.-à-d. les femmes, les personnes handicapées, les Autochtones, les minorités visibles, les jeunes et les Canadiens plus démunis).
8 : Le Comité recommande que le gouvernement, par modification de la Loi électorale du Canada, crée un incitatif financier (par exemple par le remboursement des dépenses de campagnes) qui encouragera les partis politiques à présenter davantage de candidates dans une perspective de parité.
Le rapport place donc à l’intérieur même du choix d’un modèle, le fait qu’il doive permettre d’agir pour corriger les sous-représentations et l’introduction d’un incitatif financier pour atteindre la parité hommes-femmes au Parlement. L’événement n’est pas banal. Il faut retourner en 1991, lors de la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis (Commission Lortie) pour retrouver une proposition si claire de la part d’un comité parlementaire fédéral.
Le Comité propose aussi d’accompagner la réforme d’explications sur les différentes retombées, par exemple sur le fonctionnement des partis politiques et d’une coalition gouvernementale. Cette pédagogie calmera bien des craintes, car un nouveau système électoral changera évidemment la manière de faire et de voir la politique e cela doit être apprivoisé.
11 : Le Comité recommande qu’une réforme électorale soit accompagnée d’une étude exhaustive des effets sur les autres aspects de l’« écosystème de gouvernance » du Canada, à savoir : la relation entre les pouvoirs législatif et exécutif du gouvernement, et leur fonctionnement respectif; la relation entre la Chambre des communes et le Sénat, et leur fonctionnement respectif; la procédure et les conventions parlementaires liées à la formation et à la dissolution des gouvernements; le fonctionnement des partis politiques.
Quant à la mise en place de la réforme, le Comité propose qu’un référendum se tienne pour choisir entre le statu quo et un modèle répondant à l’ensemble des recommandations du rapport, notamment en regard d’un bas indice de distorsion. Cette recommandation résulte des exigences des membres conservateurs du Comité. Elle n’est pas appuyée par le même consensus que les autres recommandations du Comité, le rapport faisant d’ailleurs état du peu d’appui que le référendum a obtenu, outre les réponses au sondage . Le Comité recommande aussi de planifier le rôle pédagogique d’Élections Canada dans le cadre d’un tel référendum. Bien que cela soit primordial, il faudrait bien plus de précisions sur les règles et le déroulement avant d’aller plus loin. Mener une campagne référendaire à la grandeur du Canada, sur un sujet comme le système électoral, comporte un très grand nombre de défis comme il sera vu plus loin.
12 : Observation : Le Comité reconnaît que, de ceux qui voulaient du changement, la grande majorité des témoignages était en faveur de la représentation proportionnelle. Par ailleurs, le Comité reconnaît l’utilité de l’indice de Gallagher, un outil développé pour mesurer la disproportion relative entre les votes reçus et les sièges obtenus à l’intérieur d’un système électoral.
Par conséquent, le Comité recommande :
- Que le gouvernement organise un référendum dans lequel le système actuel est sur le bulletin de vote ;
- que le référendum propose l’implantation d’un système électoral proportionnel qui atteint une note de 5 ou moins sur l’indice ‘Gallagher’ ;
- que le gouvernement complète la conception du système électoral alternatif proposé au référendum avant le début de la campagne référendaire.
13 : Le Comité recommande qu’Élections Canada élabore et rende publique de la documentation sur tout nouveau système proposé, y compris des cartes des circonscriptions potentielles selon le nouveau système et le format du bulletin de vote, et ce, avant le début de la campagne référendaire.
Quant aux autres sujets qu’il était chargé d’étudier, relativement à la participation électorale et à l’accessibilité du vote, recommande de ne pas rendre le vote obligatoire (#3) ni permettre le vote en ligne (#4 et #5). Il recommande d’encourager la participation électorale, en donnant plus de responsabilités à Élections Canada à cet égard, en étudiant la possibilité d’une inscription aux listes électorales deux ans avant d’avoir l’âge de voter (#9) et en mandatant le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre pour étudier comment améliorer l’accessibilité du vote pour les personnes ayant des limitations fonctionnelles (#6).
Alors que les travaux du Comité semblaient s’être déroulés dans le respect, le dépôt du rapport a pris une tournure très partisane et arrogante. Depuis l’élection de 2015, le premier ministre Justin et la ministre responsable, Maryam Monsef, se sont évertués à réaffirmer l’engagement du gouvernement, soit que 2015 serait la dernière élection à se tenir sous le mode majoritaire.
La ministre Monsef s’est par la suite excusée[11], mais le jour du dépôt elle a dénigré, devant le Parlement, le travail du Comité. Francis Scarpaleggia, député libéral et président du Comité, est allé dans le même sens, qualifiant de « radical » l’objectif de proportionnalité proposé et réitérant même la proposition d’un bulletin préférentiel.
Les jours suivants, le premier ministre, la ministre et les membres libéraux du CSRE se sont lancés dans une entreprise de démolition du rapport, se moquant particulièrement de l’indice de distorsion et insinuant qu’il n’était connu de personne. Pourtant, ou retrouve une formule mathématique équivalente dans le rapport de la Commission Lortie, en 1991, pour comparer le pourcentage de sièges au % de voix, pour une élection dans son entièreté.
Selon l’échelle utilisée en 1991, plus le chiffre s’approchait de 100, meilleure était la proportionnalité, ce qui produisant un « écart de proportionnalité » de 86 pour les élections canadiennes de 1988, versus 99 pour les élections de 1987 en Allemagne[12]. L’indice de distorsion de Gallagher porte le même jugement sur ces élections, mais en inversant l’échelle, soit un indice de 11,3 pour le Canada et de 0,76 pour l’Allemagne.
L’entreprise de démolition du rapport du CSRE était la suite logique du discours entendu à partir d’octobre, quant au besoin, non encore comblé de l’avis du gouvernement, d’entendre la population exprimer un « appui substantiel »[13]. Le début de ce discours avait commencé, comme par hasard, au moment où il était clair que le Comité allait témoigner du fort consensus en faveur d’un mode de scrutin vraiment proportionnel, et non en faveur du bulletin préférentiel, que favorisait le premier ministre Trudeau.
Les 135 députées et députés libéraux avaient bien vu venir cette tendance, puisqu’elle s’est exprimée lors des assemblées tenues dans leurs circonscriptions de juillet à octobre 2016. Si cette forte participation (les 3/4 du caucus libéral) témoigne de la motivation initiale du gouvernement fédéral, elle signifie aussi que ses membres étaient aux premières loges du consensus qui s’est exprimé. Selon les données de REC-FVC la demande pour le statu quo n’a été majoritaire que dans 6 assemblées tenues par les membres du caucus libéral, et le vote préférentiel n’a été favorisé que dans 5 assemblées, versus 77 assemblées majoritairement en faveur du changement vers une forme de proportionnelle. S’il est assez évident que la motivation du gouvernement a fondu lorsqu’il a constaté l’absence de soutien envers le bulletin préférentiel, il l’a donc fait en sachant que ses propres députées et députés avaient entendu un fort désir de changement.
Malgré les discours du gouvernement Trudeau sur l’égalité et l’importance de la contribution des femmes[14], le CSRE a très peu entendu la voix de ces dernières. Très peu de femmes et de groupes féministes ont été entendus, tant comme témoins experts, que durant les auditions itinérantes et les périodes de « micro-ouvert » qui concluaient ces dernières. Ainsi, seulement 284 femmes et groupes de femmes y ont pris part, soit 21 % des interventions totales : soit 27 % (202) des 760 témoignages et 14 % (81) des 592 mémoires déposés l’ont été par des femmes ou des groupes de femmes[15].
En matière d’analyse différenciée selon les sexes (ADS), le rapport est vraiment insatisfaisant : il ne contient aucune ventilation des données en fonction du genre, ni sur la provenance des mémoires ou de leur contenu, pas même pour ce qui est des réponses au sondage en ligne. Qui plus est, la classification des mémoires par sujet (Annexe G du rapport) ne permet pas de savoir quels mémoires ont abordé la question de la représentation des femmes, la seule classification s’en rapprochant étant « diversité », mais il y manque plusieurs mémoires qui ont intégré les enjeux féministes de la représentation.
Ces manquements sont injustifiables, d’autant plus que le rapport contient des recommandations à l’égard de la représentation des femmes et de groupes historiquement sous-représentés.
Les critiques précédentes s’appliquent également à la participation des personnes racisées ou nées à l’étranger, autochtones, etc. Outre la classification « diversité » qui liste 60 mémoires, les listes fournies en annexe du Rapport ne contiennent pas les données nécessaires pour établir une compilation semblable à celle présentée pour les % de femmes et de groupes de femmes et encore moins de détails.
Rappelons que la mention suivante se retrouvait dans la lettre de mandat de la ministre Monsef, tout comme dans celles de tous les ministres : « Vous devrez faire votre part pour respecter l’engagement du gouvernement à faire des nominations transparentes et fondées sur le mérite, à favoriser l’égalité entre les sexes, et à veiller à ce que les peuples autochtones et les minorités soient mieux représentés dans les postes de direction ».
Plutôt que d’examiner le rapport, la ministre des Institutions démocratiques d’alors, Maryam Monsef, lançait, 4 jours après son dépôt, un deuxième processus de consultation : le questionnaire internet www.MaDemocratie.ca. L’objectif de la ministre est de « faire participer les Canadiens au dialogue national en cours sur la réforme électorale » et de « comparer leurs valeurs démocratiques à celles d’autres Canadiens[16] ». Une carte postale invitant à y répondre a été envoyée à tous les foyers. Du 5 décembre 2016 au 15 janvier 2017, le questionnaire a été répondu par plus de 383 000 personnes, mais le rapport[17] n’a analysé que les 243 057 réponses ayant fourni les renseignements sociodémographiques nécessaires à la pondération[18].
Vertement critiqué pour ses questions biaisées et n’abordant pas de front la question du mode de scrutin, le questionnaire a également suscité beaucoup de moqueries, particulièrement dans les médias sociaux. Après des questions pour déterminer les valeurs et les préférences, l’interface attribuait un résultat sous la forme d’un profil type : « défenseurs, pragmatiques, critiques, coopérateurs, innovateurs ».
Qualifié de « jeu-questionnaire » ou « sondage psycho-pop »[19] le questionnaire était truffé de faux choix : «Les Canadiens devraient pouvoir voter en ligne aux élections fédérales, même si ce mode de scrutin devait présenter certains risques sur le plan de la sécurité» et de questions tendancieuses : « On devrait toujours pouvoir déterminer clairement à quel parti attribuer les décisions prises par le gouvernement, même s’il fallait pour cela que toutes les décisions soient prises par un seul parti.»
De telles questions ne pouvaient produire autre chose qu’un résultat facilement transformable au gré des visions politiques. C’est ainsi que le gouvernement a pu se réjouir que 67 % de la population soit satisfaite de la « façon dont fonctionne la démocratie au Canada », qu’elle préfère « simultanément divers attributs qui sont couramment associés à différentes familles de systèmes électoraux » qu’elle souhaite « un mode de scrutin facile à comprendre », qu’elle est « divisée quant à la nécessité de prendre des mesures spéciales pour accroître la représentation de groupes actuellement sous-représentés » et qu’elle souhaite un « assouplissement de la discipline de parti » [20].
Ces grandes affirmations ont évidemment caché d’autres résultats de ce questionnaire, soit que 70 % des répondantes et répondants préfèrent un gouvernement formé de plusieurs partis, versus formé d’un seul, et 65 % signifient être plutôt d’accord et fortement d’accord sur le fait qu’il y ait une plus grande diversité de points de vue au Parlement.
Quant aux mesures pour que « les personnes élues au Parlement reflètent mieux la diversité de la population qu’elles représentent », 52 % y sont favorables, taux qui monte à 59 % dans l’échantillon femme et à 64 % pour l’échantillon-minorités visibles.
L’annonce du recul du gouvernement arrive cependant lors du remaniement ministériel du 10 janvier 2017, alors que Maryam Monsef devint ministre responsable de la Condition féminine et Karina Gould, ministre des Institutions démocratiques. La lettre de mandat de cette dernière annonce que le gouvernement n’a plus l’intention de changer le mode de scrutin. «Le Comité spécial de la Chambre des communes sur la réforme électorale a accompli un travail colossal, les députés de tous les partis ont tenu des séances de discussion et 360 000 individus au Canada se sont exprimés par l’intermédiaire de l’initiative MaDémocratie.ca. Toutefois, aucune préférence à l’égard d’un système électoral en particulier n’est ressortie clairement, encore moins un consensus. De plus, tenir un référendum sans qu’il y ait de préférence ou de question claire ne serait pas dans l’intérêt du Canada. La modification du système électoral ne fera pas partie de votre mandat[21].»
Après moult tergiversations, c’est finalement en mai 2017 que le gouvernement Trudeau brisa officiellement la promesse électorale faite 2 ans plus tôt.
Au printemps 2017, le NPD a continué de talonner le gouvernement en tenant des assemblées « Tenez votre promesse » et en déposant, au début de mars 2017, une pétition record signée par plus de 130 000 personnes. Dans sa réponse, la ministre Karina Gould répète les informations sur le processus et le contenu de sa lettre de mandat, diffusant le résumé déformé du gouvernement qui continue de dire que « Aucune préférence à l’égard d’un système électoral en particulier n’est ressortie clairement, encore moins un consensus. »
Plusieurs rassemblements ont aussi eu lieu entre décembre et, mais, certaines sur la base d’initiatives personnelles, mais la plupart organisés par différentes organisations réformistes liées de diverses manières à Représentation équitable au Canada et à LeadNow.
Une première vague prit la forme de rassemblements appelés par LeadNow pour le 13 décembre 2016, qui résulta en une cinquantaine de rassemblements devant les bureaux des circonscriptions libérales, dont 3 à Montréal (Papineau, Mont-Royal et Westmount). Une 2e vague suivi entre le 2 et le 11 février 2017, journée désignée comme une Journée nationale d’action. Des rassemblements se sont alors déroulés dans plusieurs villes canadiennes, dont Montréal, Ottawa, Toronto et Fredericton.
Le 29 mai 2017, un autre rassemblement eut lieu sur la colline parlementaire à Ottawa, organisé par représentation équitable au Canada.
Ces dernières actions représentaient les tentatives ultimes pour faire changer d’avis le gouvernement, notamment en amenant les députés libéraux déçus de la décision du PM, ou tout simplement respectueux du message entendu de la population de leurs circonscriptions, notamment durant les assemblées publiques qu’ils ont organisées durant le CSRE.
Le 31 mai 2017 fut le moment charnière de ces actions, le député néo-démocrate Nathan Cullen ayant obtenu qu’un vote se tienne sur le rapport du CSRE. Le résultat du vote officialisa le recul du parti libéral du Canada face à sa promesse électorale puisque tout son caucus vota contre le rapport, ce qui résultait en 159 votes contre et 146 votes en faveur du rapport.
Lors d’une conférence de presse le 31 mai, le premier ministre a rejeté la faute sur les partis d’oppositions, parce qu’ils n’avaient pas endossé le modèle préférentiel qu’il favorisait. Il a également affirmé que l’instauration d’un mode proportionnel affaiblirait le Canada, parce que cela amènerait une fragmentation politique, au détriment des gros partis[22], disant même que cela serait « mauvais pour le pays ».
Il est facile d’imaginer les tenants du statu quo s’activer au moment où il est devenu évident que le rapport du Comité sur la réforme électorale ne pourrait faire abstraction du fort appui envers le changement. La tendance envers un changement véritable de mode de scrutin s’est en effet installée dès les premières auditions du Comité, laissant amplement de temps à l’opposition d’organiser sa riposte. Il y a fort à parier que des pressions se faisaient fortes au moment où Trudeau a commencé à brouiller le message, comme dans l’entrevue qu’il a donnée au Devoir le 19 octobre 2016, affirmant qu’il tiendrait son engagement électoral, mais à condition qu’il sente un fort appui populaire.
[1] Aussi nommé ERRE
[2] Gouvernement du Canada, Discours du Trône – Réaliser le vrai changement, 4 décembre 2015 et Parti Libéral du Canada, Du vrai changement – Un gouvernement juste et ouvert, Programme électoral 2015
[3] Incluant les 3 000 personnes participant aux 40 assemblées du NPD, mais pas celles des 41 assemblées du PVC, car non-disponible.
[4] Les 81 000 réponses au sondage réalisé par le caucus conservateur, sont exclues de cette compilation car leur sondage ne portait que sur la tenue d’un référendum.
[5] Comité spécial sur la réforme électorale, Renforcer la démocratie au Canada: principes, processus et mobilisation citoyenne en vue d’une réforme électorale, Rapport, 1er décembre 2016.
[6] Comité spécial sur la réforme électorale, « Renforcer la démocratie au Canada : principes, processus et mobilisation citoyenne en vue d’une réforme électorale » , Rapport, 1er décembre 2016, Annexe G Les mémoires sont aussi disponibles sur le site Web de la Chambre des communes (section des Comités).
[7] Représentation équitable au Canada, Analyses des auditions et des rapports des assemblées.
[8] Communiqué 24 octobre 2016, Alliance Chaque électeur et électrice compte, Une vaste coalition lance un appel au comité Comité spécial sur la réforme électorale : donnez au Canada un système électoral juste et démocratique.
[9] Le gouvernement a présenté le rapport comme un « rapport majoritaire » parce qu’il est accompagné de deux annexes : le rapport complémentaire des membres du comité du PLC (remettant notamment en question l’usage de l’indice de Gallagher et le recours au référendum) et l’opinion complémentaire du NPD et du PVC (surtout pour accentuer le message du rapport majoritaire et proposer deux modes de scrutins : Représentation proportionnelle mixte et la représentation proportionnelle rurale-urbaine.)
[10] Rapport du Comité spécial sur la réforme électorale, ibid., p. 181-183.
[11] La Presse, Réforme électorale: la ministre Monsef s’excuse d’avoir critiqué le comité, 2 décembre 2016.
[12] 1991 Rapport Lortie, Volume 1, page 20
[13] Joan Bryden, «Trudeau affirme qu’il tient toujours à réformer le mode de scrutin», Le Devoir, 20 octobre 2016.
[14] Mention dans toutes les lettres de mandat de « Vous devrez faire votre part pour respecter l’engagement du gouvernement à faire des nominations transparentes et fondées sur le mérite, à favoriser l’égalité entre les sexes, et à veiller à ce que les peuples autochtones et les minorités soient mieux représentés dans les postes de direction ».
[15] Selon la liste des noms des personnes et groupes apparaissant aux annexes B et C du Rapport.
[16] Écouter ce que les Canadiens ont à dire sur notre démocratie, Communiqué de presse du 5 décembre 2016. Le sondage a été mené par Vox Pop Labs Inc.
[17] Vox Pop Labs Inc. MaDemocratie.ca — Outil de mobilisation et de consultation numérique en ligne, 24 janvier 2017, Rapport.
[18] Le 14 décembre 2016, le Commissariat à la vie privée du Canada annonçait d’ailleurs qu’une enquête était ouverte sur la protection des informations personnelles demandées dans le questionnaire, notamment le code postal. En septembre 2017 le résultat de l’enquête n’avait pas été diffusé.
[19] «Réforme démocratique: le web se moque du sondage du gouvernement Trudeau», Huffington Post, 5 décembre 2016
[20] Vox Pop Labs Inc. MaDemocratie.ca — Outil de mobilisation et de consultation numérique en ligne, 24 janvier 2017, Rapport, p. 5.
[21] Lettre de mandat de la ministre des Institutions démocratiques (1er février 2017).
[22] «There was no path’ to bring in electoral reform, Trudeau says about breaking his promise», National Post, 27 juin 2017. Justin Trudeau: «I think creating fragmentation amongst political parties, as opposed to having larger political parties that include Canada’s diversity within them, would weaken our country.»