Se débarrasser du système électoral actuel : différents chemins vers un même objectif

Dans l’élection fédérale partielle de Battle River-Crowfoot, mais aussi en Colombie-Britannique et au Royaume-Uni, on parle de réformer le mode de scrutin et ses distorsions.

Publié dans Pivot le 18 août 2025

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Mercédez RobergeLettres d’opinion

À dessein, les 214 candidatures indépendantes sur les bulletins de vote de Battle River–Crowfoot – où a lieu aujourd’hui une élection partielle à laquelle se présente le chef conservateur Pierre Poilievre – font réagir.

Par cette action, le Longest Ballot Committee (LBC) revendique de remplacer le système électoral fédéral en mettant en place une assemblée citoyenne responsable de définir ce changement. Je peux concevoir qu’une telle assemblée soit appropriée à ce niveau, puisqu’aucun modèle de remplacement n’a encore été déposé. Qu’une assemblée citoyenne ne soit pas mon choix pour le Québec ne m’empêche cependant pas d’être solidaire des mouvements qui la choisissent, et j’éprouve la même solidarité envers des opérations comme celles du LBC.

Leur action a fait ressortir la pire démagogie dont Pierre Poilievre est capable, hiérarchisant les candidatures valables à ses yeux versus les autres.

Quant à la réaction d’Élections Canada, elle prouve qu’il est facile d’afficher la liste des candidatures séparément du bulletin pour simplifier le vote, procédure tout à fait normale sous divers modèles proportionnels, annulant ainsi un vieil argument du camp du statu quo.

Des réformes à venir

Les médias d’ici n’en parlent pas, mais ce statu quo est actuellement contesté au Royaume-Uni et en Colombie-Britannique. Les parlementaires y ont entamé des travaux qui pourraient bien mener à la fin du mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour… celui que nous devrions aussi mettre au rebut.

Pour la première fois, la Chambre des communes britannique fait un premier pas vers le remplacement du mode de scrutin portant son nom, et c’est un événement.

Qualifiées comme étant les pires de l’histoire du Royaume-Uni, les élections de 2024 ont permis au parti Labour de former un gouvernement majoritaire avec seulement 34 % des voix, produisant un indice de distorsion de 24, ce qui est très élevé.

Les médias d’ici n’en parlent pas, mais ce statu quo est actuellement contesté.

Ce réveil brutal a contribué à ce que des organisations comme Electoral Reform Society, Fair Vote UK et Make Votes Matter mettent le sujet dans l’actualité. Et il y est.

Au début décembre 2024, un projet de loi proposant d’établir un système proportionnel pour les élections nationales et locales a été déposé (bill 138). Le 30 janvier, les parlementaires britanniques ont débattu durant deux heures et demie sur le sujet, mais il faut maintenant que le principe du projet de loi soit adopté afin qu’une commission parlementaire en fasse l’examen, ce qui est actuellement prévu pour le printemps.

L’opinion publique étant maintenant au rendez-vous, le calendrier pourrait s’accélérer. Le plus récent sondage du National Centre for Social Research rapporte que 60 % de la population britannique appuie le changement du mode de scrutin, confirmant la tendance observée depuis 2021.

Plus près de nous

Du côté de la Colombie-Britannique, depuis octobre 2024, un gouvernement tout juste majoritaire a été formé par le Nouveau Parti démocratique (NPD), avec 47 des 93 sièges, versus 44 pour le Parti conservateur et deux pour le Parti vert.

À peine deux mois plus tard, le NPD et le Parti vert signaient une entente de collaboration, renouvelée en mars, créant notamment un comité multipartisan pour consulter et recommander un nouveau mode de scrutin.

À la différence de ce qu’on a vu avec bien d’autres gouvernements, cette promesse n’a pas servi à repousser le sujet.

Les probabilités sont grandes pour que les travaux parlementaires mènent au rejet du « modèle britannique ».

Le 18 juillet, le Special Committee on Democratic and Electoral Reform concluait onze journées d’audition et son rapport sera déposé fin novembre. Malgré la saison estivale, 136 personnes et 46 organisations y ont été entendues, dont un tiers de femmes. Les mémoires déposés ne sont pas encore disponibles, mais mon analyse du verbatim des 182 présentations démontre un très grand intérêt envers le remplacement du système électoral.

Outre les personnes et organisations s’étant exprimées uniquement sur le deuxième volet de la consultation (pour un droit de vote à seize ans et l’éducation à la démocratie), le remplacement du système électoral a été abordé dans 140 auditions – mais surtout : 134 fois en faveur de l’implantation d’un système de la famille proportionnelle. Un appui à 96 %, dont le comité ne pourra faire abstraction!

Ce message impressionnant démontre aussi que les écueils des 20 dernières années n’ont pas eu raison du mouvement dans cette province.

La plupart des présentations se sont concentrées sur les objectifs démocratiques à atteindre, mais plusieurs ont spécifié vouloir une proportionnelle mixte compensatoire, suivie du vote unique transférable (STV), confirmant le choix exprimé lors d’un référendum en 2018.

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Les probabilités sont grandes pour que les travaux de ces deux parlements mènent, au début de 2026, au rejet du « modèle britannique », ce qui serait assez cocasse considérant les noms des deux États.

Les processus sont très différents, mais dans les deux cas, ils devront se conclure par la modification de la loi électorale.

Les événements du Royaume-Uni et de la Colombie-Britannique ont plus de chances d’influencer Mark Carney, François Legault ou Paul St-Pierre Plamondon que l’allongement du bulletin de vote, mais tout doit être tenté.

Mercédez Roberge

Mercédez Roberge a été présidente du Mouvement démocratie nouvelle de 2003 à 2010. Elle est l’autrice de Élections québécoises de 2022 et précédentes : s’indigner et remplacer le système électoral (2024) et de Des élections à réinventer, un pouvoir à partager (Somme toute, 2019).